Lydie Omanga, une femme de tête dans la Tech
Propos recueillis par Pascal Patrice
Photos : FDEC
Lydie Omanga, vice-présidente de l’Autorité de régulation de la Poste et
des Télécommunications du Congo (ARPTC), présidente de l’association
« Femmes d’exception du Congo » (FDEC), est une femme influente en
République démocratique du Congo (RDC).
Née à Kinshasa il y a 50 ans, cette femme de tête rigoureuse et professionnelle a su s’imposer dans le paysage politique et communicationnel du pays qui l’a vue naître.
Celle qui a décidé il y a 16 ans de faire un retour au pays natal à la faveur d’une belle opportunité professionnelle, pour changer de cadre de vie mais aussi pour aider les jeunes filles et les femmes congolaises, a mis les pieds dans le monde de la politique en 2007, quand elle a pris ses fonctions de conseillère en communication auprès de Vital Kamerhe, alors président de l’Assemblée nationale. Loin d’être un long fleuve tranquille, sa carrière a évolué au gré des bouleversements politiques. Ces agitations n’ont pas entamé sa détermination à contribuer au développement de son beau pays. Et elle a eu raison. De conseillère de Vital Kamerhe, elle est devenue la directrice de la communication du président de la République démocratique du Congo Félix-Antoine Tshisekedi, qui la nommera par la suite vice-présidente de l’Autorité de régulation de la Poste et des Télécommunications du Congo (ARPTC).
En tant que figure féminine d’envergure évoluant dans un secteur technologique et présidente de l’association « Femmes d’exception du Congo » nous avons tenu à vous faire découvrir cette femme au caractère affirmé qui a à cœur la promotion de son pays et des femmes.
Comment passe-t-on de la communication d’un chef d’État aux Télécommunications ?
Je dirai tout simplement par une ordonnance présidentielle. Mais pas que ! (rires). Sincèrement, je pense que c’est une question de compétence, de confiance et de vision que l’on peut avoir de soi-même et de ce qu’on veut être. Et par les opportunités qui se présentent et que l’on accepte.
Vous êtes la vice-présidente de l’Autorité de régulation de la Poste et des Télécommunications du Congo (ARPTC), l’équivalent de l’ARCEP en France. Comment avez-vous réussi à vous intégrer dans ce secteur ?
Vous savez, les télécommunications font partie de la communication. Donc vu sous cet angle, je suis dans ma zone de confort. Pas besoin d’être une geek pour gérer des télécommunications ! Cependant, il faut être ouvert à l’apprentissage de nouvelles choses, savoir oser.
La première chose que j’ai faite suite à ma prise de fonction a été d’acheter des livres sur les télécommunications parce que j’avais besoin d’apprendre pour comprendre ce secteur, ses acteurs, ses métiers, les technologies, les interactions et les enjeux. J’ai fait et je continue à faire des formations car avec la transition numérique, les mises à jour sont constantes. Nous les managers, nous devons en faire régulièrement (d’où les formations) si nous voulons être en phase avec les évolutions du secteur et le réguler efficacement. C’est nécessaire pour être à même de faire la veille et d’être une force de proposition pour anticiper les changements de législation qui permettront au secteur d’évoluer dans la bonne direction.
Ensuite, il est question ici de gestion, de management. Un manager est avant tout un chef d’orchestre, on ne lui demande pas d’être un soliste. Mais il doit avoir une vision et un plan d’action et s’entourer des personnes compétentes pour que son orchestre le suive et qu’il n’y ait pas de cacophonie. Une femme est un homme comme les autres hommes, si elle est compétente, elle peut réussir à gérer beaucoup de secteurs de l’activité économique. Pour ce qui est de la régulation, je suis diplômée en marketing, en communication et en droit, de l’université Panthéon- Assas, à Paris. Dans la régulation, il est question de technique mais aussi et surtout de droit. Depuis juin 2020, mon intégration s’est faite lentement mais sûrement.
Vous êtes une femme dans la Tech mais pas une femme de Tech, pas une geek. Comment fait-on la part des choses quand on est dans un secteur où la technologie est si omniprésente ?
Je pense qu’on n’a pas besoin d’être une geek, ni un ingénieur ou encore moins un codeur pour gérer une entreprise ou une institution dans le secteur des télécommunications ou des nouvelles technologies. Pour ma part, je ne suis pas une geek mais j’ai toujours été attirée et intéressée par le numérique.
En France, en 1999, quand j’étais journaliste j’ai collaboré à des médias en ligne avant d’en créer un moi-même, c’était magazinecam.com qui était la déclinaison numérique de la version papier du magazine Cœur d’Afrique Madame que j’éditais.
Par la suite, quand je suis rentrée en RDC, dans le cadre de mes fonctions de chargée de la communication de Vital Kamerhe et de son parti l’UNC (Union pour la Nation congolaise), j’ai développé en 2014 sa stratégie de communication et celle de l’UNC en la déployant sur Internet et les réseaux sociaux. D’ailleurs l’UNC est le premier parti politique congolais à avoir développé très tôt sa présence sur le web et les réseaux sociaux.
Aujourd’hui, que l’on vive en zone urbaine ou pas, la technologie fait partie de la vie de tout le monde, de ce fait les métiers et les usages se transforment : on a des smartphones, on envoie des courriels, on a des tablettes, on surfe, on swipe, on transfère, nos maisons sont connectées tout comme nos voitures. J’aime à croire que l’illectronisme est en cours d’éradication, que cette technologie tous azimuts facilite la vie de beaucoup de personnes et peut être une aide à l’organisation et à la mise en place de stratégies efficientes pour une entreprise.
Vous n’êtes pas nombreuses à évoluer dans le secteur de la Tech et encore moins à occuper des fonctions comme les vôtres. Comment voyez-vous l’évolution des femmes dans ce secteur ?
Il est vrai que les femmes sont sous-représentées dans le secteur du numérique et c’est paradoxal quand on sait que jusque dans les années 70, la moitié des effectifs de ce secteur étaient féminins ! Sans oublier qu’un grand nombre de femmes ont contribué à écrire l’histoire des télécommunications avec des pionnières comme Ada Lovelace qui a créé le premier programme informatique en 1843 ou encore Hedy Lamarr, dont le brevet déposé en 1941 pour sécuriser les télécommunications a servi au développement des liaisons wifi et bluetooth.
De nos jours, en France par exemple, les femmes représentent 24 % des emplois dans le secteur du numérique. Sur le continent africain, des pays comme le Nigeria, l’Afrique du Sud ou encore le Kenya se distinguent en encourageant les femmes qui développent des entreprises dans la Tech. En RDC, nous avons des femmes qui se distinguent dans ce secteur comme Thérèse Kirongonzi, l’initiatrice du robot roulage, qui est aussi membre de l’association Femmes d’exception du Congo.
Comment expliquer cette sous-représentation des femmes dans la Tech ?
Il est vrai que des stéréotypes et des préjugés de genre, ainsi que le manque de rôles modèles féminins malgré les pionnières, persistent. De même que l’accès à une éducation de qualité en STIM (Science, Technologie, Ingénierie, Mathématiques) est à encourager pour les jeunes filles. Ceci dit, avec l’émergence des technologies de pointe comme l’intelligence artificielle (IA), la fintech et la blockchain, les femmes s’impliquent de plus en plus dans la Tech et ont l’opportunité de se distinguer et de faire la différence quand on sait qu’elles sont, dans ce secteur, plus diplômées que les femmes des autres secteurs. Les femmes ont un avenir radieux dans la Tech, j’en suis convaincue !
Récemment, j’étais en France à la FrancoTech en marge du XIXe sommet de la Francophonie et j’ai eu l’occasion d’assister à un panel très intéressant sur l’entrepreneuriat féminin dans la Tech. J’ai entendu des femmes audacieuses, précurseurs, dynamiques et compétentes. La présence des femmes dans ce secteur comme dans les autres de la vie économique et sociale est crucial pour garantir une croissance inclusive et durable de nos sociétés.
Vous venez d’évoquer une de vos membres, Thérèse Kirongozi. C’est une bonne transition pour parler de votre association « Femmes d’exception du Congo ». Pouvez-vous nous expliquer quel est son objet, qui sont vos membres ?
L’association « Femmes d’exception du Congo» est une association apolitique qui rassemble majoritairement des femmes congolaises aux parcours inspirants, issues de tous les horizons et des hommes congolais qui prônent la masculinité positive et défendent une société paritaire et inclusive. Des femmes qui sortent de l’ordinaire soit parce qu’elles ont su s’exprimer dans des secteurs innovants, techniques ou dans des domaines où on ne les attendait pas, soit parce qu’elles ont excellé en dépit de leurs origines qui ne les destinaient pas à se retrouver en haut de l’échelle ou à avoir une notoriété ou un succès indiscutable.
FDEC s’est donnée entre autres missions de travailler à la promotion des droits de la femme, à l’émergence, à la visibilité des rôles modèles congolais, à la réduction de la fracture numérique entre les sexes, etc.
Qu’est-ce qui différencie votre association « FDEC » d’une autre association de femmes ?
Je pense que c’est l’état d’esprit de nos membres. Nos membres ne viennent pas à FDEC pour tirer la couverture à eux mais ont conscience que du fait de leurs parcours exceptionnels, leurs voix résonnent au-delà de leur sphère d’activité pour se faire entendre du plus grand nombre, elles peuvent faire vibrer celles des autres femmes ou hommes pour qu’ils puissent à leur tour se faire entendre. Nous œuvrons pour la visibilité et l’appui d’autres femmes, dont des jeunes femmes de moins de 35 ans que l’on appelle les « Exceptionnelles à suivre… » ou d’autres associations dans le but de promouvoir le leadership féminin chez nous et à travers le monde.
Les hommes aussi sont les bienvenus ?
Bien entendu ! Nous voulons une société inclusive. Nous souhaitons montrer l’exemple en incluant les hommes au sein de FDEC. C’est la meilleure manière de les impliquer dans le combat pour la promotion du genre. Nous appelons tous les hommes « He For She » mais aussi tous les hommes « masculin positif » à venir adhérer ! Ils seront soumis aux mêmes conditions d’adhésion que les femmes à ceci près que nous souhaitons qu’ils démontrent, au-delà du parcours inspirant, une attitude pro-genre ou alors qu’ils sont des hommes qui travaillent à faire avancer l’égalité entre les hommes et les femmes, la promotion du genre et à construire une société congolaise inclusive, par leurs comportements, leurs actes, leurs décisions professionnelles.
Vous allez organiser très prochainement la première édition des « Rencontres d’exception ». Qu’est-ce exactement ?
« Rencontres d’exception » est un événement conçu par FDEC. C’est un forum qui va se tenir durant une journée, autour d’un thème en rapport avec les composantes de notre plan d’action. Pour la première édition qui se tiendra le 3 décembre à Kinshasa, nous avons retenu comme thème « La gouvernance inclusive ».
Nous allons dérouler la problématique de la gouvernance inclusive sous l’angle de l’inclusivité des femmes, à travers plusieurs panels consacrés au cadre légal de cette gouvernance en RDC, aux stratégies et outils pour rendre effective cette gouvernance en RDC et en Afrique et enfin, au partage d’expériences en confrontant les expériences de la gouvernance inclusive dans le secteur privé et dans le secteur public.
L’objectif principal de ces rencontres est de contribuer au changement des mentalités et des idées reçues sur les femmes, sur leur place dans la société et sur leurs compétences mais d’en profiter pour informer et sensibiliser le public sur la masculinité positive, l’importance des rôles modèles, etc.
Toutes les informations seront disponibles sur le site de l’association : www.fdec.cd
Insta : @lydieomanga – Fbk : www.facebook.com/LydieOmanga