Alexandre Bouyer habite la peau de Fanon dans le long métrage de Jean-Claude Barny
Alexandre Bouyer comédien français d’origine camerounaise, est en pleine ascension. Son incarnation de Frantz Fanon dans le film de Jean-Claude Barny en salle le 2 avril en France, va à n’en pas douter, marquer un tournant dans sa jeune carrière. Avec Fanon, il relève un défi de taille : donner vie à une figure emblématique de la pensée anticolonialiste, dont les idées ont marquées des générations de militants et d’intellectuels.
Ce rôle exigeant l’a plongé dans un travail intense de recherche et d’interprétation, entre exploration psychologique et immersion totale dans la peau de Fanon, ce militant anticolonialiste né en Martinique en 1925 et mort à 36 ans d’une leucémie foudroyante. Frantz Fanon a marqué la pensée antiraciste, les études postcoloniales mais aussi la psychiatrie.
La performance d’Alexandre Bouyer saluée pour sa profondeur et son intensité, permet au public de redécouvrir Fanon sous un prisme humain et incarné. Une carrière prometteuse s’ouvre dorénavant à lui, car il a définitivement prouvé qu’il est non seulement un acteur talentueux, mais aussi un artiste capable de porter haut des personnages dramatiques. Entretien.
Comment avez-vous préparé ce rôle aussi intense et complexe ?

Ce rôle, je l’ai préparé en amont. J’ai fait un travail avant le tournage qui a duré huit mois. J’ai aussi fait un travail sur la documentation. J’ai travaillé avec une coach, Elise Mcleod, qui m’a permis cette introspection. J’ai aussi fait un travail physique et dans ce travail physique, il y avait une perte de poids de 13 kilos. Ça, j’ai dû le faire en un mois. Donc ça a été assez intense. Et pour ce faire, je me suis entraîné cinq fois par semaine en courant une heure tous les jours, et en mangeant une fois par jour, en supprimant tout ce qui est glucides, donc les pâtes. Je vous évite tous les détails, mais je pense que vous avez compris. Tout ça en mangeant de la protéine animale et des légumes, je faisais un repas par jour.
Quelle a été votre première réaction en découvrant le scénario de Fanon ?
J’ai découvert Frantz Fanon vraiment à travers le scénario de Jean-Claude Barny. D’ailleurs, j’étais agréablement surpris et bouleversé par l’histoire de ce monsieur, mais j’étais aussi bouleversé et honteux de découvrir son histoire assez tard. J’aurais aimé la connaître un peu plus tôt, car je pense que son histoire m’aurait aidé à me développer en tant qu’être humain.
Avez-vous lu les ouvrages de Fanon pour mieux comprendre son personnage ? Si oui, lesquels vous ont le plus marqué ?


J’ai lu les œuvres de Fanon, Peau noire masque blancs, L’An V de la révolution algérienne, Les Damnés de la Terre. J’ai lu aussi un bouquin de Karima Lazali qui parle de la guerre d’Algérie et dans lequel elle évoque Frantz Fanon. J’ai aussi lu un autre d’Alice Cherki qui mentionnait son travail avec Frantz Fanon. Alice Cherki était une femme qui était très engagée dans la lutte anticolonialiste, et qui a travaillé en tant qu’assistante à l’hôpital Bida avec Frantz Fanon.
Quelles ont été les scènes les plus difficiles à jouer, émotionnellement ou physiquement ?
Il n’y a pas eu de scènes difficiles à jouer physiquement. Émotionnellement, oui. Il y a une scène qui est d’ailleurs celle dans laquelle Frantz Fanon découvre les malades algériens, qui sont enfermés dans une pièce dans des conditions déplorables. Ça, c’est la scène qui m’a le plus marqué émotionnellement. Toutes les journées de tournages étaient intenses, mais une en particulier m’a demandé beaucoup de concentration à cause de ce qu’elle résonnait en moi. C’est le moment où je découvre les malades de l’hôpital de Bida enchaînés, j’en avais des frissons. C’est ce qui m’a aidé pour porter ma révolte tout le long de ce film.
Aviez-vous déjà une connexion personnelle avec l’histoire ou les idées de Fanon avant de tourner ce film ?

Je n’avais pas forcément de connexion avec Frantz Fanon avant le scénario. Avant de l’avoir lu, j’en avais déjà entendu parler, car j’ai écouté un album de Yousoufa, qui est Noir Désir, dans lequel il a mentionné plusieurs fois Frantz Fanon. J’avais fait des recherches, mais pas de très grosses. J’avais juste compris que c’était un psychiatre, un penseur et une des figures emblématiques de la lutte contre le colonialisme.
Comment s’est passée votre collaboration avec Jean-Claude Barny ?
Ma collaboration avec Jean-Claude Barny s’est très bien passée parce qu’il m’a fait énormément confiance. Le Fanon qu’il avait imaginé, pensé, écrit, avait beaucoup de similitudes avec ce qu’il projetait en moi. Et comme c’est quelqu’un d’extrêmement précis, avec toutes les rencontres qui ont précédé l’obtention du rôle, ajoutées aux conversations que nous avions eu avant le casting, m’ont donné la force, et la légitimité. Sur le seul essais casting organisé par Jean-Claude, j’étais Fanon.
Quels conseils vous a-t-il donnés pour incarner Fanon de manière authentique ?
Tous les jours nous avions des discussions sur les sous-textes de mes répliques. Il faut savoir, qu’il avait une grande exigence sur la mise en scène. Donc je devais le trouver à chaque fois dans un mouvement de corps, et de direction que nous avions défini. Ce qui m’a surtout aidé, c’est le travail de coaching avec Elise Mcleod pendant huit mois. Le défi était de rendre Fanon comme on ne l’avait jamais vu. Très humain, et inaccessible tout à la fois.
Y a-t-il eu des moments d’improvisation ou d’ajustements sur le plateau pour mieux coller à la réalité du personnage ?
Les seuls moments où il y avait un espace pour l’improvisation, c’était quand Jean-Claude laissait touré la caméra après les dialogues. Nous sentions que c’était le moment pour rendre la scène encore plus réaliste. C’est à ces moments là qu’il sentait que j’étais Fanon du matin au soir. Je me suis laissé emporter et guidé par ce personnage qui m’habitait en permanence tous les jours. D’ailleurs, sur le plateau et pendant tout le tournage, on ne m’appelait que Fanon, parce que je préférais qu’on m’appelle Fanon afin de ne jamais quitter le personnage. Et puis, forcément il y a surtout les séquences avec les malades, pour être le plus proche de l’authenticité. Il y a eu des pulsions dans le texte, des improvisations qui étaient assez justes, tous les gestes tous les regards pendant que j’étais médecin, que le réalisateur a gardées pendant le tournage.
Le film mélange biopic et réflexion politique. Comment avez-vous trouvé l’équilibre entre l’homme Fanon et sa pensée ?
J’ai effectivement fait un travail de fond sur la pensée du personnage. J’ai été vachement aidé par ses livres, parce que dans ses bouquins, forcément, en tant que psychiatre, on a accès à la pensée du personnage. J’ai bien sûr ajouté aussi mon humanité à moi, parce que j’estimais que si Jean-Claude m’avait choisi, c’est qu’il pensait et était convaincu, que mon humanité était un atout, et allait forcément servir à ce personnage.
Quelle a été l’ambiance sur le tournage, vu l’intensité du sujet abordé ?
L’ambiance sur le tournage était juste, parce qu’il y avait un engagement de toute l’équipe. Il y avait une forme de cohésion d’équipe, car on avait tous le même engagement, on avait tous envie de défendre cette histoire au mieux, et de mieux la raconter. Tout le monde a fait des efforts, et s’est donné à fond avec les hauts et les bas pour défendre ce film-là. J’ai eu la chance de travailler avec des acteurs de renommé comme Déborah François, Olivier Gourmet, Stanislas Merhar, Arthur Dupont et d’autres qui ont fait preuve de bienveillance, étaient à l’écoute et qui m’ont beaucoup appris.
Ce rôle a-t-il changé votre regard sur les luttes anticolonialistes et les questions identitaires ?
Je dirais plutôt qu’il l’a encore plus ouvert, ce regard sur la lutte anticolonialiste. J’ai appris pas mal de choses. J’ai été vachement éduqué grâce à ce rôle-là. Donc, pour moi, j’en sors grandi, oui.
Que retenez-vous de Fanon en tant qu’homme et penseur après l’avoir incarné à l’écran ?
Pour moi, c’est un homme d’une grandeur absolue, qui ne comptait pas, qui n’était pas avar en amour. C’est un homme qui a fait une déclaration d’amour à l’humanité et qui a fait une déclaration de guerre à l’injustice. C’était un homme très tolérant.
Comment pensez-vous que Fanon va résonner auprès des jeunes générations ?
J’aimerais que les jeunes, en découvrant son histoire, retiennent, ressentent que la différence n’est pas forcément une raison d’adversité, que la différence n’est pas un danger, au contraire, et que les jeunes comprennent qu’il faut apprendre à vivre dans la tolérance.
Avez-vous ressenti une pression particulière en incarnant une figure aussi importante ?
La pression était là tous les jours, et elle est là encore aujourd’hui. Car le défi et l’objectif, c’est quand même de laisser un héritage de sa pensée, et en espérant l’avoir bien fait.
Qu’aimeriez-vous que le public retienne de votre performance et du film en général ?
Je n’ai pas de souhait en particulier. J’aimerais surtout que le film en sorte grandit, qu’il éveille les esprits, et que les gens passent un bon moment. Qu’ils se disent que c’était un grand homme, et qu’en ressortant de ce film ils s’aiment encore plus.
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Photo de couverture : Vincent Flouret