Olivia Mvondo est doublement diplômée d’une école de commerce et finalise actuellement un MBA…
C’est au Cameroun, où elle réside, qu’elle a cofondé KMERPAD Ldt en 2014, qu’elle dirige d’une main de fer. Son leitmotiv : œuvrer chaque jour pour améliorer le bien-être menstruel des femmes et adolescentes du pays et du reste de l’Afrique. Son produit phare, la serviette FAM, témoigne de son engagement à offrir des solutions de qualité accessibles et adaptées aux besoins spécifiques des consommatrices.
Que ce soit par ignorance ou par honte, en Afrique, les règles sont un sujet tabou. Pas question d’évoquer ses saignements devant tout le monde !
Dans les familles africaines comme dans certains autres endroits du globe, la parole n’est pas libre sur cette réalité féminine. Parfois même, les jeunes filles découvrent l’existence des menstruations le jour où celles-ci se présentent pour la première fois, et elles sont souvent confrontées à des difficultés. Mauvaise préparation, avec très peu ou pas d’informations sur ce sujet. Forte de ce constat, la camerounaise Olivia Mvondo s’est emparée du sujet en créant la Serviette FAM.

Comment avez-vous vécu personnellement l’expérience des menstruations ?
Olivia Mvondo : L’arrivée de mes premières menstruations a été un moment déroutant. Je me souviens avoir découvert quelque chose dans mes sous-vêtements sans vraiment comprendre ce qui se passait. Malgré quelques bribes d’informations entendues ici et là, je restais ignorante face à ce phénomène nouveau. Mon seul souhait était que cela cesse. Pendant des mois, je les ai vécues dans la clandestinité, par pudeur et par manque de connaissances. Jusqu’au jour où l’on m’a surprise, on m’a donc tendu un paquet de serviettes hygiéniques en me conseillant de ne plus jouer avec les garçons pour éviter une grossesse. Je me sentais perdue et honteuse. Aujourd’hui, je repense à cette période avec un mélange d’émotions. Je suis reconnaissante envers les personnes qui m’ont aidée à traverser cette étape. Malgré des explications parfois maladroites, cette expérience m’a appris l’importance de l’éducation et du dialogue autour de ce moment.
Pensez-vous que cela se passe toujours ainsi, en ce qui concerne les jeunes filles africaines ?
Il est important de se rappeler que chaque jeune fille vit cette période différemment, et cela est encore plus vrai en Afrique où les contextes culturels, sociaux et économiques sont très variés. Certaines jeunes filles africaines peuvent la vivre de manière positive, entourées de femmes de leur famille qui les soutiennent et les informent. D’autres, malheureusement, peuvent faire face à des défis importants, comme le manque d’accès à des produits d’hygiène menstruelle, des tabous et des croyances néfastes, ou encore une absence d’éducation à la santé sexuelle et reproductive.
Pourquoi certaines mères africaines sont-elles si peu formées à ce moment crucial dans la vie de leurs filles ?
C’est une question importante et complexe. Il est vrai que de nombreuses mères africaines ne sont pas suffisamment outillées pour accompagner leurs filles, lors de l’arrivée de leurs premières règles. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cela. Le poids des traditions et des tabous et le manque d’éducation sexuelle. Dans certaines cultures africaines, les menstruations sont entourées de mystères. Il est difficile d’en parler ouvertement, ce qui limite l’accès à l’information pour les jeunes filles et leurs mères. L’éducation sexuelle est souvent insuffisante, voire absente, dans les programmes scolaires de nombreux pays africains. Les mères, n’ayant pas reçu d’éducation adéquate elles-mêmes, ont du mal à aborder le sujet avec leurs filles.
Les inégalités d’accès à l’information et aux ressources, l’accès à Internet, aux livres et aux professionnels de santé est inégalement réparti en Afrique. Les femmes vivant en milieu rural ou dans des zones défavorisées sont particulièrement touchées par cela, mais il faut souligner que la situation évolue progressivement. Des initiatives se mettent en place, surtout n’oublions pas que chaque mère fait de son mieux avec les connaissances et les ressources dont elle dispose. Il est essentiel de les soutenir et de les accompagner.
Que faudrait-il donc mettre en place ?
Pour que les menstruations ne soient plus un gros mot, il est essentiel d’agir à plusieurs niveaux. Il faut éduquer et sensibiliser en intégrant l’éducation menstruelle dès le plus jeune âge, dans les écoles et les familles. Sensibiliser les garçons et les hommes à ce sujet, pour favoriser la compréhension et le respect. Organiser des campagnes de sensibilisation afin de lutter contre les idées reçues. Permettre l’accès gratuit aux produits et à l’hygiène, améliorer l’accès des installations sanitaires adéquates avec eau courante et savon dans les écoles, les universités, les prisons et les lieux publics et de travail. Encourager une représentation positive et réaliste des menstruations dans les médias, la publicité et la culture populaire. Mettre en avant des modèles et des figures inspirantes qui parlent ouvertement de leurs expériences. Soutenir les associations et les initiatives luttant contre la précarité menstruelle et accompagnant ces personnes en situation de vulnérabilité. Instaurer des mesures concrètes pour lutter contre la taxe rose et rendre les produits menstruels plus abordables. Enfin, encourager la recherche et ses implications pour la santé et le bien-être. En somme, déconstruire tout tabou est un processus qui nécessite une approche holistique et la participation de tous les acteurs de la société pour ce faire. Il est très important de créer un environnement où les personnes concernées se sentent informées, soutenues et libres de vivre ce moment sans honte ni gêne.
C’est tout cela qui vous a poussée à créer votre entreprise ?
L’une des raisons qui m’a poussée à co-fonder KMERPAD Ltd est liée à mon expérience personnelle avec les douleurs menstruelles. En voulant explorer des alternatives pour plus de confort, je me suis intéressée aux serviettes hygiéniques lavables.
Combien de personnes vous ont suivie dans cette aventure ?
C’est grâce aux efforts conjugués de nos trois associés et de notre vingtaine d’opératrices textiles que nous pouvons fièrement proposer des accessoires d’hygiène de qualité.
Elles sont toutes des femmes, sans exception ?
Oui, toutes les opératrices textiles sont des femmes, et c’est avec une grande fierté que nous reconnaissons leur travail essentiel et leur expertise.
Quels sont les autres pays africains qui travaillent avec vous ?
Les autres pays africains qui travaillent avec nous sont le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Niger, la République centrafricaine et le Tchad.
Est-ce que les politiques vous soutiennent ?
Les politiques d’investissement au Cameroun sont particulièrement dynamiques et jouent un rôle clé dans le développement économique du pays. Grâce à l’engagement constant du ministère des Petites et Moyennes entreprises, et notamment à travers le programme « SheTrades », des opportunités d’échanges transfrontaliers ont été encouragées, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives. Nous avons eu la chance de pouvoir bénéficier de ces initiatives qui ont nourri et dynamisé nos projets, tout en renforçant nos partenariats. Nous sommes sincèrement reconnaissants pour ce soutien précieux. De plus, nous avons l’honneur d’être lauréats du programme Dias Invest, lancé en 2019 par le consortium AFD, MINREX et AgroPME. Ce programme, qui soutient des projets à forte vocation sociale, en particulier au sein de la diaspora camerounaise, a été pour nous un levier essentiel, nous permettant de maximiser l’impact de nos actions en faveur du développement local et social.
Vous ne faites pas seulement des serviettes hygiéniques, vous vous êtes diversifiée, expliquez-nous comment.
Pendant la période difficile de la Covid-19, alors que le monde entier faisait face à des défis sans précédent, le Cameroun n’a pas échappé à la nécessité urgente de disposer de masques pour protéger ses citoyens. Conscients de l’ampleur de la demande et des ressources limitées disponibles à ce moment-là, nous avons pris l’initiative de produire des masques en grande quantité pour soutenir notre pays dans cette lutte. Nous avons eu l’honneur d’être la première entreprise textile au Cameroun à se lancer dans la production de ces équipements de protection essentiels. Nous avons agi dans un esprit de solidarité et de responsabilité, en mettant notre savoir-faire au service de la communauté. C’était une période de grande incertitude, mais nous avons su faire preuve de résilience et d’adaptabilité pour répondre aux besoins immédiats du pays. Cette démarche a été reconnue par l’Agence Française de Développement, qui a même rédigé un article pour saluer notre capacité à faire face à cette crise. Au-delà de la production de masques, notre mission reste profondément ancrée dans l’amélioration des conditions de vie des populations vulnérables. Nous avons élargi notre offre en distribuant des produits essentiels tels que des culottes menstruelles, des couches lavables pour bébés et des couches pour adultes en situation d’incontinence. Ces produits, souvent négligés ou inaccessibles pour une grande partie de la population, sont une réponse à des besoins fondamentaux de santé et de dignité. Chaque initiative que nous entreprenons vise à apporter une solution durable et responsable aux défis sociaux et sanitaires qui touchent notre pays. Ces réalisations ne seraient pas possibles sans la confiance et le soutien de nos partenaires, des institutions qui croient en notre capacité à faire une différence, et surtout, sans l’engagement de nos équipes qui, avec détermination et courage, ont surmonté chaque obstacle.
Quelles sont vos prochaines actions ?
Nous avons le grand plaisir d’annoncer la signature d’un accord de partenariat à long terme avec l’UNICEF. Cette collaboration est pour nous une étape importante, qui marque le début d’une nouvelle phase excitante dans notre travail. Nous sommes enthousiastes à l’idée d’intégrer de nouveaux modèles dans notre catalogue, en réponse aux besoins croissants des communautés.

En savoir plus :
www.kmerpad.com
Tél : 00-237-6-95-27-68-46
TÉMOIGNAGES DE SALARIÉES DE KMERPAD LDT.
« Je m’appelle Mariette MMOMO AYISSI, après avoir terminé ma formation au Centre de Promotion de la Femme et de la Famille de Yaoundé Ier, j’ai intégré l’entreprise il y a maintenant plus de dix ans. Ce fut une décision importante pour moi, et aujourd’hui, je peux vous affirmer sans hésiter que je ne regrette absolument pas ce choix. Dès mes débuts au sein de la société, j’ai eu la chance d’évoluer dans un environnement qui a non seulement enrichi mes compétences professionnelles, mais qui m’a aussi permis de développer des valeurs humaines essentielles. La culture de l’entreprise va bien au-delà de l’aspect purement professionnel. Ici, nous ne sommes pas simplement des collègues, nous sommes avant tout une famille, unie par des objectifs communs et un profond respect mutuel. Ce qui m’a particulièrement marquée chez Olivia, c’est sa capacité à accorder sa confiance à ses collaborateurs. Grâce à cela, j’ai pu assumer des responsabilités de plus en plus importantes, qui ont contribué à mon épanouissement professionnel. Chaque défi était une occasion d’apprendre et de progresser. Ce qui rend KMERPAD encore plus spéciale, c’est la reconnaissance que l’on reçoit, à travers des félicitations et des actions concrètes. L’une des expériences les plus marquantes a été un voyage que nous avons effectué à Kribi, un moment que je n’oublierai jamais. Non seulement nous avons pu nous détendre et profiter de ce cadre exceptionnel, mais l’entreprise a pris en charge tous nos frais. Une belle preuve de l’attention portée à ses collaborateurs. Je suis profondément reconnaissante envers KMERPAD Ltd pour l’opportunité qu’elle m’a donnée de grandir à la fois professionnellement et personnellement. »
« Je m’appelle Judicaëlle, après ma formation, j’ai travaillé trois ans à KMERPAD. C’est en voyant une annonce au FNE, que j’ai postulé chez eux. Dès l’entretien avec Madame MVONDO, je me suis sentie à l’aise et écoutée. J’avais vraiment envie d’apprendre et relever le défi de confectionner les serviettes menstruelles FAM, que j’ai rapidement réussi à coudre parfaitement ! Ce que j’ai particulièrement apprécié dans cette entreprise, c’est le management, chaque couturière pouvait s’exprimer librement et nos idées étaient toujours prises en compte. J’ai quitté KMERPAD pour réaliser mon rêve de devenir styliste et ouvrir mon propre atelier. Aujourd’hui encore, je continue de collaborer avec eux en sous-traitant la confection de serviettes menstruelles lavables lorsqu’ils ont d’importantes commandes. L’expérience dans cette entreprise m’a profondément marquée. J’ai appris beaucoup, notamment sur le plan humain. J’essaie d’ailleurs de m’inspirer de leur management bienveillant dans mes relations avec les couturières de mon atelier. Je remercie sincèrement toute l’équipe pour leur enseignement et pour m’avoir fait me sentir considérée et intégrée. »
