Originaire de Sousse, en Tunisie, prix Comar d’or en 2021, finaliste du prix Médicis étranger 2024,…

Amira Ghenim, docteur en linguistique et professeur à l’Université de Tunis, est devenue une porte-parole emblématique de la littérature de son pays. Publié en France chez Philippe Rey, son roman « Le Désastre de la maison des notables », prix de la littérature arabe 2024, est une saga familiale qui évoque l’histoire de la Tunisie, des soubresauts de la revendication d’indépendance jusqu’en 2011, période des révolutions arabes.

« L’affection s’est transformée en haine, la joie en angoisse et en tristesse. L’enfer a remplacé la paix, les liens se sont effondrés et nous avons dit adieu aux jours heureux », écrit-elle. En toile de fond de ce roman, les tensions et l’effervescence politique anticoloniales, notamment avec la montée du mouvement nationaliste tunisien, le Néo-Destour. Cette période charnière voit se dessiner socialement et politiquement deux tendances, l’une réformiste et progressiste, l’autre conservatrice et traditionnelle.

Le roman débute à Tunis, il est centré sur la nuit du 7 décembre 1935, date du désastre qui a scellé le destin de deux familles de la haute bourgeoisie tunisienne. Amira Ghenim nous fait voyager au cœur de la médina de Tunis où vivent deux grandes familles aristocratiques liées par le mariage de Mohsen Naifer et Zbeida Rassaa, dont le père avait toujours tenu à ce que ses filles soient éduquées et lettrées. Les Rassaa sont des libéraux progressistes, « connus pour leur vie à l’occidentale », quand les Naifer sont des conservateurs rigides. Le père Othman Naifer incarne la haute bourgeoisie de Tunis, méprisante et dénigrante envers les autres, les qualifiant « d’hérétiques », « apostats », « impies », « d’ennemis de la législation islamique » ou « d’ennemi numéro un de la nation ». Il est question dans ce roman d’esclavage et de racisme – à l’encontre de la servante noire Khadouj, dont les parents ont été affranchis. Selon Othman Naifer, « mieux vaut mille djinns qu’un serviteur noir ! ».

La bourgeoisie tunisienne est décrite comme un corps malade. « On ne peut blâmer les familles de la haute bourgeoisie tunisoise si leurs dignitaires se pavanent, hautains, vaniteux et méprisants. Leur snobisme n’est pas un vice conscient ni un péché qui pèsera sur la balance lors du Jugement dernier. Leur arrogance, innée, est un trait hérité, comme un bec de lièvre, des doigts collés ou toute autre malformation congénitale dont nul n’est responsable », écrit Amira Ghenim dans le prologue de son roman. Que s’est-il donc passé dans cette honorable maison des Naifer, ce soir du 7 décembre 1935 ?

Le roman s’étale sur une période de 80 ans, et nombre d’autres faits qui y sont liés sont narrés successivement par les protagonistes, membres ou domestiques des deux familles, des années après et dans des circonstances diverses. Amira Ghenim, dans sa structure narrative, fait appel avec brio au flash-back, à la digression, à l’anticipation et à un suspense digne d’Alfred Hitchcock, en vue de tenir constamment en haleine le lecteur.

« Le désastre de la maison des notables » d’Amira Ghenim,
traduction de Souad Labbize, Paris, Philippe Rey, Alger, Barzhak, 2024, 494 pages