Finaliste à trois reprises du prix Nobel de littérature, artiste engagée aux côtés des Démocrates,…
femme frêle mais d’une œuvre abondante, foisonnante et proliférante, Joyce Carol Oates est restée cantonnée dans l’anonymat jusqu’à ce qu’elle s’installe dans les années 60 à Detroit, la ville de la classe ouvrière, de l’industrie automobile – mais aussi de la Tamla Motown, célèbre maison de disques afro-américaine…
Avec entre autres « Eux et Sacrifice », l’auteure a mis son intelligence cruelle et son impitoyable lucidité au service d’une vaste fresque qui s’étend de la Dépression des années 30 aux émeutes raciales de 1967, dont la puissance n’a d’égale que le brio du style.
C’est un 16 juin 1938 à Lockport, dans le Comté de Niagara, État de New York, que Joyce Carol Oates voit le jour. Son père Frederick James (1914-2000) et sa mère Carolina Elizabeth (1916-2003) sont tous les deux d’origine rurale modeste et lui ont fait prendre conscience très jeune de la réalité sociale : « J’ai grandi dans une famille rurale pauvre, après la dépression. Mes parents étaient très courageux, et j’ai toujours voulu rendre hommage à leurs efforts pour se faire une place dans la société américaine de l’époque », dit-elle. L’écrivaine, veuve de Raymond J. Smith (1930- 2008), rencontré sur les bancs de l’université, n’a pas eu d’enfants : « Je n’ai jamais eu l’instinct maternel. Mon frère n’a pas d’enfant non plus. J’étais tellement intéressée par l’écriture que je n’ai pas eu le temps, même si j’aime les enfants », dit-elle. Au bord du suicide lorsqu’elle perd subitement son époux, avec qui elle a partagé plus de quarante-sept ans de sa vie, elle racontera les premiers mois de son veuvage dans le livre « J’ai réussi à rester en vie ».
Les écrits de Joyce Carol Oates sont riches et diversifiés : biographies historiques, romans sur la famille ou la classe ouvrière, romans gothiques et magiques, ou encore « Blonde », somme sur Marylin Monroe, qui est sans doute son chef-d’œuvre. « J’attends toujours d’écrire le livre qui restera. J’écris des livres très variés, dans des styles très différents. Je suis formaliste avant tout, à la recherche du langage le plus adapté pour décrire une situation. À chaque ouvrage, j’explore un nouveau mode d’expression. Écrire est une discipline élevée, un sport de haut niveau », confie-t-elle en 2014, à Télérama.

« J’attends toujours d’écrire le livre qui restera.
J’écris des livres très variés, dans des styles très différents. Je suis formaliste avant tout, à la recherche du langage le plus adapté pour décrire une situation. À chaque ouvrage, j’explore un nouveau mode d’expression.
Écrire est une discipline élevée, un sport de haut niveau »
Les principaux thèmes abordés dans l’œuvre de Joyce Carol Oates sont notamment la souffrance humaine, la peur, l’abandon, les difficultés et la violence dans les villes américaines, souvent à travers les dégâts causés par la grande dépression en termes de tentation du suicide, de puissance de l’argent, d’alcoolisme, de drogue et de prostitution. On retrouve dans ses livres des réflexions sur la folie, la mélancolie et la ténacité, mais aussi la lutte des Noirs pour leur dignité, contre le système de ségrégation raciale d’une démocratie américaine reflétant le privilège de l’homme blanc. C’est une œuvre réaliste, toute de noirceur et de violence : « Oui je traite de sujets graves mais lorsque ce sont des hommes qui écrivent sur ces thèmes, personne ne semble penser que c’est inusité. J’ai une vision réaliste de la vie et du monde, basée sur une certaine connaissance de l’Histoire. Si vous regardez l’histoire de la civilisation, vous voyez qu’il y a toujours eu des guerres, que les humains ont été cruels les uns envers les autres. Ce serait naïf de ne pas réfléchir là-dessus. Mais parce que j’en parle, on considère que j’ai une vision sombre ».
« EUX »
« Eux » relate l’histoire d’une famille de prolétaires américains de la région de Detroit, principalement dans les années 50 et 60. Cette saga familiale qui commence avec les grands-parents dans les années trente, s’achève en 1967 par des émeutes raciales particulièrement violentes. « Eux », c’est la famille Wendall, l’incarnation de la pauvreté, ceux que les gens riches ou éduqués montrent du doigt, ceux qui intriguent tant les bienpensants. Ce sont aussi les hommes qui ont traversé la vie de Maureen Wendall et l’ont marquée à jamais. Mais c’est surtout Howard, le père, qui leur rend la vie infernale. Renvoyé de la police pour fraude, il sombre dans l’alcool avant de mourir écrasé sous une tonne d’acier à l’usine. Et Jules, le grand frère tant aimé, qui disparaît à l’entrée de l’adolescence pour essayer de fuir le contexte familial sordide et flirte avec la pègre sans même s’en rendre compte… Mais « Elles », sontelles vraiment leurs victimes ou plutôt leurs complices passives, mais dévouées ?

« SACRIFICE »
Dans « Sacrifice », situé en 1987 dans un quartier noir délabré d’une ville du New Jersey, une mère cherche partout sa fille, Sybilla, disparue depuis trois jours. L’adolescente sera retrouvée ligotée, le corps barbouillé d’excréments et d’injures racistes, dans les sous-sols d’une vieille usine abandonnée. Emmenée aux urgences, elle accuse des « flics blancs » de l’avoir enlevée, battue et violée.
S’inspirant, comme souvent, d’un fait divers réel, Joyce Carol Oates signe un roman profond et incendiaire. « Nous allons secouer la conscience de l’Amérique blanche en révélant ce qui a été fait à Sybilla Frye : votre fille est une martyre, mais elle sera bientôt une sainte », écrit Joyce Carol Oates.
Joyce Carol Oates analyse également le comportement des médias, ainsi que les récupérations politiques et religieuses malsaines par de faux prophètes. Les voix intérieures des personnages ajoutent de la profondeur à l’ensemble, et on ne sort pas indemne de ce livre dont il serait faux de croire qu’il n’est que le récit d’un fait divers. Le XXe siècle sera celui de la « ligne de couleur » avait dit W.E.B. du Bois, une séparation qui est faite dans le racisme entre les gens blancs et tous les autres, dès lors considérés comme « gens de couleur ».
Joyce Carol Oates explore brillamment les lignes de faille d’une société toujours troublée et obsédée par la question de la race et du genre.
