Chantal Biya s’est investie très tôt dans l’aide à l’enfance, voire la petite enfance,…
ayant compris l’importance de ces années dans le développement des individus et leur future intégration dans le monde adulte. Elle a sollicité pour cela l’aide et le soutien d’éminents médecins et professeurs dont Luc Montagnier, prix Nobel de médecine 2008, qui s’était engagé auprès d’elle dans son Centre International de Recherche et la structure Synergies Africaines.
Quand les appels téléphoniques de la présidence de la République du Cameroun sont arrivés ce jour-là au bureau du professeur Luc Montagnier à l’Institut Pasteur de Paris, les assistantes qui les ont reçus ont hésité à en parler immédiatement avec le célèbre chercheur.
D’abord, parce qu’il s’agissait d’une requête inhabituelle. Le bureau de la Première Dame du Cameroun, Chantal Biya, souhaitait s’entretenir avec le professeur Montagnier au sujet d’une invitation à se rendre à Yaoundé pour une réunion confidentielle concernant une initiative majeure dans le domaine de la santé publique. Professeur mondialement connu, Luc Montagnier était habitué à recevoir des invitations d’universités, de centres de recherche et d’administrations de santé, pas les épouses de chefs d’Etat…
Ensuite, ces sollicitations ne venaient pas à une bonne période. C’était en 2002. Le professeur Montagnier était fâché avec la communauté scientifique internationale, parce qu’il estimait que ses travaux pionniers n’étaient pas reconnus à leur juste valeur. Il avait identifié le VIH. Le résultat de ses recherches avait été publié dès 1983. Mais chaque année, le prix Nobel lui échappait et il ne cachait pas son dépit (il en sera finalement récompensé en 2008). Il était aussi remonté contre ses collègues de l’Institut Pasteur où il avait fondé et dirigé l’unité d’oncologie virale pendant près de trente ans avant d’être poussé à une retraite élégante comme professeur émérite en 2000. Ses collègues et assistants, qui le trouvaient grincheux et imbu de lui-même, étaient donc hésitants à lui transmettre cette requête en provenance de Chantal Biya.
Pourtant cet appel inattendu venant d’une nation lointaine lui avait redonné de l’énergie. Ravi de pouvoir faire connaissance avec la Première Dame du Cameroun, Luc Montagnier avait pris langue avec l’équipe de Chantal Biya et s’était informé de ses activités sociales. Il avait appris que l’épouse du président Paul Biya s’employait à sensibiliser l’opinion à la lutte contre la pauvreté, la maladie, la misère et les exclusions de toute nature. C’était d’ailleurs l’objectif premier de la Fondation qui porte son nom : venir en aide aux personnes défavorisées et lutter contre les souffrances.
LA FONDATION CHANTAL BIYA
Association apolitique, non confessionnelle, à but non lucratif et à caractère humanitaire, la Fondation Chantal Biya a été reconnue d’utilité publique le 30 avril 1999. Elle bénéficie du statut consultatif spécial du Conseil économique et social des Nations unies et est membre du Réseau Mère et Enfant de la Francophonie.
Montagnier avait demandé des détails sur les activités de la Fondation. La réponse lui avait plu, car l’étendue de ses actions et projets correspondait aux préoccupations du grand chercheur français : la prévention et le soulagement des souffrances humaines ; la protection, l’éducation et les actions sociales et sanitaires en faveur de la mère et de l’enfant ; l’assistance aux malades démunis ; l’assistance et l’encadrement des enfants abandonnés ; l’assistance aux personnes âgées ; la lutte contre la pauvreté et la misère ; la protection de la famille ; et l’assistance en matériels et en médicaments aux hôpitaux et centres de santé nécessiteux.



SYNERGIES AFRICAINES
Une initiative particulière de Chantal Biya lancée en 2002 lors du trente-deuxième sommet de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) avait impressionné Montagnier : la création de Synergies Africaines, une organisation non gouvernementale regroupant les Premières Dames d’Afrique et d’autres continents, les personnes physiques ou morales de bonne volonté et les scientifiques du monde entier.
Ses missions principales : la lutte contre le VIH/SIDA et l’amélioration des conditions de vie des femmes rurales africaines. Montagnier s’était engagé dès la première heure pour la prévention et le traitement du VIH, ainsi que pour la lutte contre la stigmatisation et la discrimination à l’encontre des personnes séropositives et touchées par le virus. Comment refuser de prêter main forte à des épouses de chefs d’Etat africains désireuses d’utiliser leur pouvoir d’influence et leurs capacités de mobilisation d’énergies et de ressources en faveur de causes nobles ? Plus rien ne pouvait arrêter Montagnier.




RENCONTRE AVEC CHANTAL BIYA
Chantal Biya l’avait alors rencontré et lui avait demandé non seulement de faire partie de l’équipe de direction de la Fondation mais aussi de recommander d’autres chercheurs de renom dont les idées novatrices pouvaient soutenir et accompagner le travail qui serait désormais effectué à partir de diverses institutions créées à Yaoundé.


C’est ainsi que des sommités scientifiques de la scène médicale mondiale comme l’Américain Robert Gallo (considéré comme codécouvreur du virus du SIDA), le biochimiste britannique Richard Roberts (prix Nobel de physiologie-médecine en 1993) ou l’Italien Vittorio Colizzi (spécialiste d’immunologie et de pathologie de l’Université de Rome Tor Vergata) étaient devenues les éminences grises autour de Chantal Biya et des Premières Dames africaines.

Pour marquer le poids de son implication dans le travail mené par l’épouse du président Paul Biya, Montagnier avait même accepté de servir comme président du conseil scientifique du Centre international de référence Chantal Biya pour la recherche sur la prévention et la prise en charge du VIH/SIDA (CIRCB), inauguré en 2006.

LE CIRCB, CENTRE INTERNATIONAL DE RÉFÉRENCE CHANTAL BIYA
Peu d’analystes l’avaient noté alors, mais ce que Chantal Biya faisait était sans précédent. Jamais dans l’histoire, une jeune Première Dame n’avait réuni autour d’elle les plus grands savants du monde pour travailler sur les sujets de santé publique les plus pressants.
En 2008, le professeur Montagnier a fini par être l’un des lauréats du prix Nobel de physiologie ou médecine pour la découverte du VIH. Lors de son discours à Stockholm pour l’acceptation de son prestigieux prix, il cite le CIRCB comme l’une des deux institutions africaines symbolisant l’effort de création de structures médicales adéquates pour la formation de médecins et comme un modèle de centre de recherche dans un pays en développement.

CONCENTRER L’ACTION SUR LES JEUNES ENFANTS
L’efficacité discrète avec laquelle Chantal Biya est parvenue à attirer autour d’elle les meilleurs experts de la planète et à créer des institutions de qualité internationale et travaillant sur des sujets de société essentiels, s’explique non seulement par son savoir-faire et sa personnalité inclusive, mais aussi par son humilité et sa capacité d’écoute, inhabituelles chez une femme de pouvoir.
Dès 1994, la Première Dame camerounaise avait pris le temps de consulter certains des chercheurs les plus importants et avait découvert des savoirs essentiels et peu connus sur des questions délicates concernant les plus jeunes enfants et sur des décisions peu discutées mais dont dépend l’avenir économique et politique de tout pays. Lorsqu’elle a réuni Montagnier, Robert Gallo, Richard Roberts et Vittorio Colizzi au sein de son équipe, ceux-ci lui avaient fortement suggéré de concentrer son action sur les enfants, et notamment les plus jeunes.


AMÉLIORER LA QUALITÉ DU « CAPITAL HUMAIN »
Pourquoi un tel choix ? Les chercheurs avaient attiré l’attention de Chantal Biya sur des résultats d’études montrant que le destin économique d’une nation tient surtout à la qualité du « capital humain », défini comme l’ensemble des connaissances, qualifications, compétences et caractéristiques individuelles qui facilitent la création du bien-être personnel, social et économique. Selon l’OCDE, « le capital humain constitue un bien immatériel qui peut faire progresser ou soutenir la productivité, l’innovation et l’employabilité ». Très concrètement, ce capital humain-là dépend lui-même de la qualité de l’éducation et de la santé prodiguée par chaque société à ses citoyens.
La grande nouveauté rapportée par le professeur Montagnier et ses collègues à Chantal Biya et découlant des nouveaux résultats de la recherche scientifique portait sur l’importance pour les politiques publiques de cibler les enfants. Les experts lui avaient présenté les principaux enseignements d’une étude de l’économiste américain James Heckman de l’université de Chicago, intitulée « Les avantages d’un programme influent pour la petite enfance sur le cycle de vie ». Cette étude montrait que des programmes de qualité destinés aux enfants défavorisés, de la naissance à l’âge de cinq ans, peuvent générer un retour sur investissement de 13 % par an, soit un taux nettement plus élevé que le retour de 7 à 10 % précédemment établi pour les programmes préscolaires destinés aux enfants de trois à quatre ans. Des gains significatifs peuvent donc être réalisés n’importe où dans le monde grâce à de meilleurs résultats en matière d’éducation, de santé, de comportements sociaux et d’emploi.

INVESTIR DANS L’ENFANCE DÉFAVORISÉE
Cette analyse économique changeait tout : il ne fallait donc plus concevoir la santé et l’éducation comme des politiques publiques ordinaires, mais plutôt comme des investissements susceptibles de rapporter beaucoup d’argent à l’Etat et au pays au fil des ans. L’existence de données statistiques accumulées sur ces questions aux Etats-Unis et à travers le monde permet de mieux comprendre les avantages à long terme des projets et programmes comme ceux menés au sein de la Fondation Chantal Biya et centrés sur les enfants. Ils confirment les gains économiques engendrés par un investissement massif en petite enfance. Ses travaux ont montré que ce sont les investissements auprès des enfants défavorisés de moins de cinq ans et de leur famille qui ont le taux de rendement le plus élevé, argument financier politiquement très porteur en faveur des interventions précoces.
Certains travaux de recherche sur l’efficacité des programmes pour la petite enfance se concentrent sur les gains scolaires à court terme, alors que ce sont les bénéfices à long terme qui fournissent une mesure plus pertinente de la valeur. James Heckman a analysé un large éventail de résultats obtenus le long d’une vie dans des domaines tels que la santé, la qualité de vie, la participation à la criminalité, le revenu du travail, le quotient intellectuel, la scolarisation et l’augmentation du revenu du travail des mères grâce aux services de garde d’enfants subventionnés. Heckman a donc recueilli des données sur les participants à des projets et programmes tout au long de l’enfance et jusqu’à l’âge adulte, ce qui a permis une analyse approfondie des effets à long terme dans de multiples dimensions du développement humain.
LES ENFANTS AU CŒUR DE L’ACTION DE LA FONDATION CHANTAL BIYA
L’on comprend donc pourquoi depuis la création de sa fondation en 1994, la Première Dame camerounaise a suivi les conseils des experts et a placé les enfants au cœur de son action. Cette décision a pris diverses formes, de la fécondation in vitro à la construction d’écoles et de centres de santé destinés aux plus petits. Chantal Biya a manifesté sa gratitude au chercheur français lors de l’annonce de son décès en février 2022 : « Le professeur Montagnier a été de tous les combats de Synergies Africaines contre les souffrances, a écrit la Première Dame camerounaise. L’un des faits marquants de sa collaboration avec Synergies Africaines est la création du CIRCB, dont il sera le président du Conseil scientifique pendant plusieurs années. Je salue la mémoire de cet illustre disparu qui est resté fidèle à Synergies Africaines, n’hésitant jamais à partager sa science. Mon époux, le président Paul Biya et moi, garderons de lui l’image d’un homme affable, chaleureux, généreux et d’un scientifique extraordinaire. La communauté scientifique perd un combattant de la première heure dans la lutte contre le SIDA, et Synergies Africaines, un partenaire de tous les instants. » Un hommage bien mérité.

AGIR DÈS LA NAISSANCE, ET AVANT L’ÂGE DE 8 ANS
De la naissance à l’âge de 8 ans, des données ont été collectées chaque année sur les compétences cognitives et socio-émotionnelles, l’environnement familial, la structure familiale et les caractéristiques économiques de la famille. Après l’âge de 8 ans, des données sur les compétences cognitives et socio-émotionnelles, l’éducation et les caractéristiques économiques de la famille ont été recueillies aux âges de 12, 15, 21 et 30 ans. En outre, une enquête médicale complète a été menée à l’âge de 35 ans et des dossiers détaillés sur toute activité criminelle ont été établis.
Les résultats de cette étude sont sans appel : tout se joue pratiquement dès la naissance. Les enfants ayant bénéficié de programmes comme ceux existant au sein des institutions de la Fondation Chantal Biya ont eu des résultats significativement meilleurs que ceux qui n’ont pas été pris en charge par un centre ou que ceux qui ont reçu des soins de santé de moindre qualité. Pour les femmes, de tels programmes ont des effets positifs durables, y compris sur le taux d’obtention du diplôme d’études secondaires, le nombre d’années d’études, l’emploi et les revenus du travail des participants et de leurs parents. Les résultats pour les hommes montrent une diminution de la consommation de drogues et de la tension artérielle, ainsi que des effets positifs sur l’éducation et les revenus du travail ultérieurs.
