Également connu sous le nom de Breast Ironing ou Breast Flattening,…
le repassage des seins est une tradition répandue au Cameroun, Nigeria, Togo, Bénin, Tchad, Gabon, Guinée… dans le but de retarder la croissance mammaire des jeunes filles, adolescentes et prépubères. L’objectif étant de dissuader toute attention sexuelle inappropriée envers les concernées. Une pratique confidentielle et dangereuse qui soulève de nombreuses préoccupations en matière de droits humains et de santé publique.

« L’ENFER EST PAVÉ DE BONNES INTENTIONS »,
déclare Prunelle, un brin d’amertume dans la voix. La jeune femme, Camerounaise de 29 ans, se souvient :
« Tout a commencé quand j’avais 10 ans. J’étais en vacances chez ma grand-mère au village et un matin très tôt, elle m’a fait venir dans sa cuisine. Il y avait deux de mes tantes avec elle. (…) Elles m’ont attrapée avant que j’aie pu comprendre quoi que ce soit. (…) Ce n’est qu’après qu’elles m’ont expliqué avoir fait cela pour mon bien, pour que les hommes me laissent tranquille et que je poursuive ma scolarité sans être inquiétée… ». La peur des mariages précoces, des grossesses non désirées hors mariage, voire des viols, est en effet à l’origine de la pratique du repassage des seins. Un sentiment qui, compte tenu des croyances culturelles et du poids des normes sociales de genre, est hélas fondé sur une réalité bien concrète. Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), en 2023, le taux de natalité des adolescentes (15-19 ans) en Afrique subsaharienne est le plus élevé au monde : 97,9 pour 1000. L’Unicef indique par ailleurs que 34 % des Africaines sont mariées avant 18 ans.
Il faut dire que, malgré une progression globale de l’usage de méthodes modernes de contraception par les Africaines (plus 2 % entre 2012 et 2020), des barrières culturelles et religieuses persistent encore et favorisent davantage le recours à des formes de contrôle corporel comme le repassage des seins. En d’autres termes, c’est bien plus simple de mutiler des jeunes filles que d’éduquer les hommes. Parler aux adolescentes de sexualité est encore tabou – si ce n’est pour les encourager à satisfaire leur futur mari – et n’est pas aussi répandu dans les mœurs que cela devrait l’être.
TORTURÉES POUR LEUR « BIEN »
C’est donc avec la conviction d’éviter à leurs filles les dangers d’une sexualité prématurée et d’encourager ainsi leur éducation, que les parents – en général, les femmes de la famille, grand-mères, mères ou tantes – ont recours à ces « traitements » extrêmement douloureux qui vont de la compression de la poitrine avec un bandeau très serré, au massage des seins avec des ustensiles de cuisine détournés (pierre à écraser, pilon ou spatule), chauffés au feu ou à l’eau bouillante. Des méthodes brutales qui ont des effets désastreux tant sur le plan physique que psychologique. Brûlures sévères, douleurs chroniques, infections qui dégénèrent en complications médicales plus ou moins graves (kystes, abcès, lésions tissulaires et même cancer), malformations et retards dans la production de lait maternel, sont des affections courantes qui touchent les victimes de repassage des seins.
Quant au traumatisme psychique dont ces personnes souffrent, il est lié non seulement à la douleur – d’autant plus qu’elle est souvent infligée par des proches aimants – mais aussi à l’extrême vulnérabilité de ces filles et femmes, atteintes au plus profond de leur chair. La poitrine étant un attribut de la féminité très important, la plupart conservent une image dégradée d’elles-mêmes et une très faible estime de soi ; une auto-dépréciation qui se répercute sur leur vie amoureuse.
Au-delà des souffrances endurées, le repassage des seins porte une grave atteinte à l’intégrité physique et mentale de celles qui subissent cette pratique. C’est donc une violation caractérisée de leurs droits humains qui, comme d’autres mutilations de genre, est opérée sous silence, dans le secret des familles. Ce qui rend le phénomène bien difficile à quantifier, malgré son ampleur évidente. Rien qu’au Cameroun et au Nigeria, les Nations unies considèrent qu’environ 3,8 millions de femmes sont concernées.
LA FIN DE L’OMERTA
Des organisations internationales et locales se mobilisent (avec le soutien plus ou moins actif des gouvernements) pour sensibiliser les communautés aux conséquences du repassage des seins. Elles agissent notamment auprès des chefs traditionnels afin qu’ils condamnent ouvertement la pratique et relaient les risques qu’elle représente auprès de leurs administrés. L’une des premières associations au Cameroun à avoir tiré la sonnette d’alarme sur la situation est RENATA (Réseau National des Associations de Tantines) dès le début des années 2000. On note également les efforts de Gender Empowerment and Development (GeED) qui fait écho aux voix des victimes et œuvre pour leur bien-être (soutien psychologique, soins médicaux…). Par ailleurs, les ONG et militants des droits de l’homme promeuvent des alternatives pour protéger les filles, en particulier via une éducation complète à la sexualité (ECS). Et pour cause, la pratique du repassage des seins est un des phénomènes qui démontrent combien la santé sexuelle et reproductive des adolescents est un enjeu crucial en Afrique subsaharienne. Or comme le stipule l’Organisation mondiale de la Santé : « Les jeunes sont plus enclins à retarder le début de leur activité sexuelle et (…) à avoir des rapports protégés s’ils sont mieux informés sur leur sexualité, leur santé sexuelle et leurs droits ». C’est notamment une recommandation forte de l’UNFPA* proposée cette année dans un document de réflexion publié à l’occasion des trente ans de la Conférence internationale sur la Population et le Développement (CIPD).
Autre mesure possible et non des moindres pour endiguer la propagation de cette pratique, le renforcement des lois afin de l’interdire et de protéger les droits des filles. Au Nigeria par exemple, depuis 2015 le repassage des seins est considéré comme une infraction pénale, au même titre que le mariage forcé ou les mutilations génitales, passible de quatre ans de prison et d’une amende de 500 000 naïras. Cependant, à ce jour, il n’y a pas encore de cas connu de sanction prononcée dans le cadre de cette loi.
Bien plus que les protestations et les démarches d’activistes, les témoignages des victimes ont un impact considérable sur la dénonciation et le recul de la pratique du repassage des seins. Elles sont de plus en plus nombreuses désormais à s’exprimer, rompant la loi du silence, y compris à travers des œuvres comme celles du photographe d’art français Gildas Paré (avec son projet Plastic Dream, 2015) et de la photojournaliste égyptienne Heba Khamis (série Banned Beauty, 2016).

SÉLAVIE : « NOS MAMANS NE PARLENT PAS ASSEZ À LEURS FILLES. »
Comédienne, humoriste, scénariste, animatrice et chroniqueuse, l’artiste camerounaise Sélavie Newway a elle-même été victime dans son enfance du repassage des seins, une pratique récurrente dans son entourage. Elle évoque ce fléau dans son dernier spectacle Tout ça Sélavie, un one woman show jubilatoire dans lequel elle égratigne avec délectation et mordant l’hypocrisie d’une société qui préfère se compromettre dans l’illusion plutôt que d’affronter la vérité crue de ses travers. « Je veux sensibiliser le public sur ce sujet, confie-t-elle. D’ailleurs, j’ai également écrit un film qui traite en partie de cette problématique et dont le tournage devrait commencer en fin d’année prochaine. Moi, j’ai subi les bandages de la poitrine. Je devais être en CM1 quand ma mère a commencé à me les poser. Bien sûr, elle le faisait pour me protéger contre l’attention des hommes. Par chance, je n’ai pas gardé de séquelles contrairement à certaines de mes amies qui ont beaucoup souffert. »
Cela aura duré un an environ, et Sélavie se souvient du sentiment de honte qu’elle éprouvait alors à l’idée qu’on remarque sa poitrine naissante, mais aussi de sa sidération tant elle était choquée de ce qui lui arrivait. « Il faut dire que je ne savais absolument rien de ce qui m’attendait, explique-t-elle. Chez nous, en pays bamiléké, les jeunes filles sont maintenues dans l’ignorance quant à ce qui concerne leur sexualité et ce n’est pas bon. J’aurais préféré que ma mère, ou ma sœur aînée qui m’a élevée, prenne le temps de m’expliquer ces choses : comment agir quand on est approchée par un garçon ? Que faire lorsqu’on commence à avoir des relations sexuelles pour éviter une grossesse non désirée ? Même pour mes règles, personne ne m’y avait préparé et j’ai eu si peur quand cela m’est arrivé ; j’ai même cru que j’allais me faire gronder ! Tout cela, c’est parce que nos mamans ne parlent pas assez à leurs filles. Il faut lever ces tabous ». Actuellement, Sélavie Newway est en train de mettre sur pied une association dont, elle le promet, un des thèmes majeurs sera la lutte contre le repassage des seins.