Plus de mannequins étrangers au Nigeria: Opportunités et menaces
par Isabelle Fayolle
Plus de mannequins ni de voix off qui viennent de l’étranger au Nigeria. Depuis octobre dernier, changement du paysage audiovisuel chez le géant africain anglophone de 200 millions d’habitants. C’est une première en la matière. Beaucoup de media ont interprété cette décision comme une interdiction des « mannequins blancs », même si ce sont bien les mannequins « étrangers » qui sont visés, plus que la couleur de la peau.
L’autorité de régulation de la publicité a légiféré en août dernier. Ce choix politique assumé de développement des talents locaux a suscité la polémique. Les modèles étrangers vont disparaître des écrans, des campagnes publicitaires. Les voix off aux accents américains ou britanniques seront désormais silencieuses. La moitié des emplois dans ces deux secteurs étaient occupés par des Britanniques dans les publicités, dont le pays était une colonie jusqu’en 1960.
Cette décision s’applique à tous les « non Nigérians » et non aux « Blancs » comme l’ont interprété une partie des media. Un délai est cependant aménagé pour que les publicités et campagnes en cours puissent se terminer. Avant cette mesure, le protectionnisme nigérian était déjà en place, pour valoriser les talents locaux. Les entreprises étaient déjà pénalisées en cas d’emploi d’étrangers dans ces secteurs, par le paiement d’une taxe à hauteur de 240$.
La plus grande puissance économique du continent, d’après une étude du cabinet PWC entre 2017 et 2021, serait le générateur de revenus à la croissance la plus rapide au monde dans les années à venir dans les secteurs du divertissement et des media. Rien que pour l’année 2021, cette industrie a généré 450 millions de $. L’industrie cinématographique nigériane est la plaque tournante de la production de contenus en Afrique. Elle produit des contenus qui sont diffusés sur Netflix, Amazon et autres. L’enjeu est de taille puisque désormais les entreprises étrangères qui comptent faire du business au sein du pays vont devoir composer avec cette nouvelle réglementation et recruter des talents sur place. Aubaine pour les créatifs et talents locaux, et peut-être frein pour
ceux qui souhaitent persister à importer leurs normes et standards ou les Nigérians qui souhaitent s’exporter.
Les questions de diversité et d’inclusion sont désormais présentes dans la mode et dans le luxe. Malgré tout, les représentations stagnent dans un monde encore très blanc. L’autorité de régulation de la publicité, l’Advertising Regulatory Council of Nigeria ou ARCON, à l’origine de cette interdiction, souhaite développer le vivier de talents locaux dans le secteur de la publicité et à rendre sa croissance plus inclusive.
Beaucoup confirment que l’industrie de la radiodiffusion nigériane en général a toujours encouragé les talents locaux à prendre des accents britanniques ou américains pour garder leur emploi.D’autres fois, ce sont les rapatriés d’Amérique et d’Europe qui obtiennent tous les emplois. Forcément, cette décision va entraîner un changement significatif sur les visages qu’on voit dans les publicités, et mécaniquement offrir davantage d’opportunités aux talents nigérians.
Pour en savoir plus sur les réactions que ce texte suscite, voyons le commentaire de Tolulope Kolade. Voix off célèbre et primée, podcasteur et doubleur de talent, il est connu sous le nom de Tcode : l’industrie de la publicité est vaste, pas seulement pour les voix off. En fait, il y a aussi les mannequins, les monteurs vidéo. Le pays attire l’attention. Les entreprises locales et même les entreprises internationales sont sous les feux de la rampe en ce moment. Si vous regardez la scène musicale, l’afrobeat est la chose principale en ce moment.
L’annonce signale une évolution du sentiment national vers une volonté d’un récit collectif plus inclusif des représentations. Les campagnes en cours peuvent se poursuivre jusqu’à leur terme, mais les demandes ultérieures ne seront pas acceptées par l’Advertising Standards Panel (ASP). Les annonceurs, les agences de publicité, les media, la communauté publicitaire et le grand public sont invités à en prendre note.
Nkechi Ali-Balogun, une des papesses des relations publiques à la tête de NECCI PR, affirme : « Il est temps que nous commencions à regarder vers l’intérieur, car tout ce dont nous avons besoin se trouve au Nigeria. Nous avons des domaines qui offrent tous les types de paysages et d’ambiances dont les clients ont besoin. Nous avons des plages, des animaux sauvages et de la végétation.
Le directeur général de l’ARCON, M. Fadolapo, a déclaré que même les organisations qui décernent des prix devront écrire à l’agence pour établir la base et le processus d’attribution des prix. Selon la loi promulguée par le président Muhammadu Buhari, toute organisation utilisant une agence non agréée à des fins publicitaires sera poursuivie.
Que penser de ce cadre réglementaire inédit et punitif ? Forcément, cette décision va entraîner un changement significatif sur les visages qu’on voit dans les publicités, et mécaniquement offrir davantage d’opportunités aux talents nigérians.
Le hic c’est que beaucoup de couples sont mixtes au Nigeria, que de nombreux expatriés qui reviennent ont des accents américains ou anglais après avoir résidé ailleurs. Sans compter les mannequins, artistes de Legos qui veulent se vendre à l’étranger et risquent de subir un effet boomerang. Peut-on employer un artiste dont le pays est fermé à l’emploi des autres dans ce type d’industrie ?
ATTENTION A L’EFFET BOOMERANG
Même le DG groupe Dentsu Nigeria et membre de l’ARCON, Emeka Okeke, a émis des réserves quant aux ambassadeurs mondiaux nigérians opérant dans d’autres pays. Selon lui, «cette politique peut être une arme à double tranchant, capable de provoquer des mesures de rétorsion contre les artistes et les mannequins nigérians dans d’autres juridictions, si elle n’est pas gérée avec soin. Je soutiens les politiques de l’organisme de réglementation, cependant, nous devons examiner attentivement cette nouvelle politique pour nous assurer qu’elle n’est pas contre-productive au point de diminuer les avantages envisagés.»
Si on suit les commentaires et réactions des medias étrangers, beaucoup jugent cette mesure de « nationalisme culturel » excessive et inappropriée. D’autres la trouvent xénophobe et raciste, même s’il ne s’agit pas de couleur de peau. Enfin, beaucoup de courants d’extrême droite, européens et américains, l’épinglent en disant que le contraire serait impossible, preuve, selon eux d’une guerre « anti-Bancs » affichée.
Mayram S., mannequin noire française originaire du Sénégal, explique : « C’est tellement plus dur de décrocher des jobs quand on est noire que ça me paraît positif pour les Nigérians. C’est un moyen de voir émerger des milliers de jeunes talents et tant pis pour les critiques ! ».
En revanche, Maa Tibet GD, métisse blonde basée à Paris, trouve que « ça pose une barrière peu adaptée au mannequinat. Je n’aimerais être mise de côté sur les castings des productions étrangères, ça me ferait perdre beaucoup de boulot. On a besoin de travailler avec tout le monde et ça évolue peu à peu ».
Attendons de voir la mise en application et ses conséquences d’ici un an. Mais les réactions et critiques d’un racisme « anti-Blancs » ont révélé une vision encore très passéiste, voire colonialiste de l’industrie de la mode et du divertissement.
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