Quand un village cubain devient une œuvre d’art
La Havane a soufflé le 16 novembre 2019 les 500 bougies de sa fondation, et sa treizième Biennale d’art a transformé la ville en une galerie géante animée par des dizaines de plasticiens internationaux. L’occasion de revenir sur le travail de ces artistes locaux qui s’investissent depuis des années dans leur quartier afin de donner des couleurs à la vie pas facile au quotidien de leurs voisins.
José Rodriguez Fuster s’est inspiré de Gaudi, de Picasso, de Chagall pour transformer son modeste village de pêcheurs en un monde enchanté avec l’aide enthousiaste des gens du quartier. Un engagement à la cubaine généreux et conscient des problèmes qui s’efforce de rendre les gens plus heureux en embellissant leurs maisons et leurs rues, au risque parfois d’être pris pour de farfelus mégalos.
De l’art urbain pour enchanter le quotidien
Le résultat est étonnant à Jaimanitas, un village de pêcheurs à une heure de La Havane, pas loin de la Finca la Vigia, la maison où Hemingway, amoureux de l’île, venait vivre, écrire et pêcher. C’est là que José Rodriguez Fuster s’installe il y a une trentaine d’années. Né en 1946 ce peintre, sculpteur et céramiste passé par les Beaux-Arts n’en est pas à sa première exposition quand il arrive. Mais le succès à Cuba ne garantit pas la fortune. Il s’achète une maison sommaire dans le village et commence à en couvrir les murs de peintures et de céramiques pour modeler son univers.
Il s’attaque ensuite à l’extérieur dans une profusion de sculptures étranges tout droit sorties de son imaginaire. A commencer par quelques créatures hybrides, chatoyantes et baroques qui rappellent ici la Santeria, ce vaudou local venu de la lointaine Afrique, là le monde marin avec sirènes, poissons magiques, pieuvres et crocodiles… De l’entrée au toit en terrasse on évolue entre des palmiers, des coqs, des croix, des cœurs, des mains tendues vers le ciel et toutes sortes de signes et de symboles dans un langage poétique voire surréaliste.
Cette joyeuse faune et flore se mêle aux personnages et se déploie en constructions de plus en plus hautes, s’enchevêtre en un dédale de couleurs à la façon d’un Picassiette ou d’un Facteur Cheval. Du bleu, du blanc, du rouge, du jaune, du vert… On remarque au passage l’influence de Gaudi dont Fuster a découvert le Parc Guell. lors d’un voyage à Barcelone. Celle aussi de Picasso dont il pastiche à l’envi les profils cubistes, sans oublier l’art brut façon Dubuffet. Les Cubains ont justement baptisé ce lieu ludique ouvert à tous Fusterlandia…
Son rêve ? S’exprimer à l’échelle du village
Mais la maison ne suffit plus. Le plasticien caresse maintenant un rêve plus audacieux. Nous sommes en 1995 et les choses vont mal à Cuba. Avec l’effondrement du bloc communiste, l’économie locale s’effondre elle aussi. Embargo américain, fin des aides venues de Russie… les années 90 sont des années noires. Jaimanitas n’est pas épargné et les habitants font triste figure. Fuster, comme on l’appelle ici, décide de s’atteler au problème à sa façon en débordant sur le village. Il convainc ses voisins de décorer avec lui les façades, les pas de portes, les murs et les bancs le long des trottoirs éventrés. Le fruit de la vente de ses sculptures et tableaux fournira le matériel nécessaire en peinture et en mosaïques. Tout le monde met la main à la pâte et bientôt Jaimanitas se trouve transfiguré. « J’ai travaillé inlassablement pour réaliser quelque chose de spectaculaire, je voulais être entouré par l’art. Avec le temps, les rêves se réalisent ». expliquera-t-il.
Inspiration débridée et imageries locales
On déambule le long des rues à travers cette œuvre globale, ce musée à ciel ouvert. Plus de soixante maisons couvertes de fresques mosaïquées, chacun y étant allé de ses désirs et de ses rêves. C’est la façade du médecin du village qui à l’honneur de la première retouche et dans la foulée toutes celles des rues avoisinantes se colorent de motifs poétiques et colorés. On croise ainsi Frida Kahlo et ses amis mexicains sur l’enceinte du terrain de baseball suivie de quelques pays amis qui font le tour de l’Amérique latine. Honneur à Fidel, voici le bateau sur lequel il débarque en 1956 avec ses barbudos et aussi Chavez, le président le vénézuélien qui sourit en des jours meilleurs. Une dédicace pour Gaudi, quelques citations d’Hemingway ou d’Alejo Carpentier, un “mur des artistes“ aux céramiques signées pour ne pas n’oublier les autres artistes cubains… Les visiteurs curieux de découvrir les quartiers où bat l’âme des Cubains à l’écart des visites surchargées de la vieille ville sont de plus en plus nombreux. Et dans la foulée, des échoppes ouvrent devant les portes pour proposer artisanat et colifichets, une manne bienvenue pour ces villageois peu habitués jusque-là à voir des étrangers affluer.
Annexe : A La Havane l’art se vit dans la rue
Fuster n’est pas le seul à investir son quartier. Le plasticien Kcho, gâté par son succès à l’étranger, est resté fidèle à Romerillo, le modeste quartier de son enfance. Engagé auprès des plus défavorisés, convaincu que la culture peut changer la vie, il a réhabilité les rues défoncées, les installations délabrées avec l’aide des habitants en disposant des sculptures, en peignant des fresques un peu partout sur les façades. C’est aussi là qu’il a installé son atelier, un laboratoire de création permettant aux jeunes artistes de s’exprimer.
Autre intervention dans le quartier de Cayo Hueso, la ruelle du Callejon de Hamel, devenue le haut-lieu du Street art cubain. Gonzales Escalona y a conçu une immersion totale au cœur de la culture afro-cubaine dans une explosion de couleurs couvrant de fresques accompagnées de citations magico-philosophiques l’intégralité des murs et des façades.
Et puis, sur le thème La Construcción de lo Posible, 235 artistes de 50 pays ont occupé les espaces publics et privés durant la Biennale de La Havane. Parmi eux, les Français Théo Mercier, JR, Leila Alaoui, Daniel Buren, Laurent Grasso, Emmanuel Tussore, Ghazel, Yves Tremorin…
Texte et photos Catherine Gary
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