PASSIONNÉE PAR LE PANSORI, LAURE MAFO EST INTARISSABLE SUR LA PRATIQUE DE CET ART MÉCONNU.
POUR DEVENIR L’UNE DES RARES ÉTRANGÈRES À CHANTER DES TEXTES ANCIENS CORÉENS SUR DES RYTHMES TRADITIONNELS, CETTE FRANCO-CAMEROUNAISE N’A PAS HÉSITÉ EN 2017 À QUITTER PARIS. DIVAS MAGAZINE EST ALLÉ À SA RENCONTRE POUR NOUS FAIRE PARTAGER CE SAVOIR-FAIRE QUI NOUS VIENT DES TRÉFONDS DE LA CULTURE CORÉENNE. 

Photo fournie par Laure Mafo
© Choi Won-suk

Divas. Quand et comment avez-vous décidé de quitter Paris pour la Corée du Sud ? 

L.M. Après avoir vu un documentaire sur la Corée du Sud, je pensais m’y rendre. J’avais déjà travaillé à Paris pour Samsung en tant que contrôleur de gestion, et je m’étais dit qu’en allant en Corée du Sud, je pourrais acquérir une expérience professionnelle valorisante pour ma carrière, pendant 4 ou 5 ans, les Coréens étant connus pour leur rigueur au travail. C’est dans la même période que j’ai découvert le Pansori. La première fois que j’ai entendu le chant Pansori, c’était à Paris au Centre Culturel Coréen, celle qui allait devenir mon professeur s’y produisait. J’ai été éblouie par cette expression musicale, j’y trouvais quelque chose de différent. C’est le Pansori qui m’a fait tout plaquer et partir. 

Divas. Pouvez-vous nous dire ce qu’est le Pansori et ce qui vous a plu dans sa pratique ? 

L.M. Le Pansori est un art traditionnel. Il y a un chanteur que l’on appelle Sorigun, et un percussionniste que l’on appelle Kossu. Le chanteur raconte et interprète un long récit en alternant une partie narrative et une partie chantée, accompagnée par le son du tambour. C’est par exemple ce que donne le chant Saranga, qui est un Pansori très célèbre en Corée. Dans les temps anciens, les chanteurs de Pansori parcouraient les villages et racontaient des épopées contre quelques pièces d’argent, en cela ils me font penser aux griots qui relatent les récits fantastiques des héros africains. 

Divas. Vous êtes française d’origine camerounaise, comment vos parents ont-ils réagi en apprenant votre installation en Corée du Sud, et votre souhait de devenir chanteuse de Pansori alors que vous aviez déjà une autre carière auparavant ? 

L.M. Ma décision a paru étrange à ma mère d’autant qu’elle ne connaissait pas la Corée du Sud. Elle ne comprenait pas mon choix de déménager dans un pays encore plus lointain que la France, elle qui vit au Cameroun. Ce déménagement m’éloignait un peu plus d’elle. Pour ne pas l’inquiéter, je lui ai dit que je ne partirai que pour peu de temps. Aujourd’hui, elle a compris que mon séjour en Corée du Sud durera plus longtemps que promis. Quant à mon choix de devenir chanteuse alors que j’avais une carrière à Paris, elle s’est d’abord montrée circonspecte puis s’est fait une raison. 

Divas. Vous êtes originaire du Cameroun, et membre d’une communauté aux fortes traditions. Pouvez-vous nous dire un mot sur les liens entre la culture Bamiléké mise à l’honneur cette année au Musée du Quai Branly à Paris, et la culture coréenne ? 

L.M. Il y a de nombreuses similitudes entre la culture coréenne et les cultures africaines. Par exemple, le respect des aînés, la façon dont on reçoit des étrangers, etc. Lorsque j’étais enfant, j’aimais beaucoup me rendre dans mon village à Bandjun pour voir ma grand-mère. Dans la journée nous allions au champ, nous y chantions des chansons traditionnelles bamilékés qui ressemblent à des Minyos, un autre chant traditionnel coréen. Puis le soir, mon grand-père nous racontait des histoires qui se terminaient toujours par une leçon de bonne morale. J’aimais beaucoup ces moments. Plus tard, lorsque j’ai compris ce que voulaient dire les chants Pansori, j’y ai trouvé des ressemblances avec les chants Bamilékés de mon enfance, les histoires chantées se terminaient aussi par une morale bienveillante, à savoir : bien vivre, aider son prochain, être heureux.

Photo fournie par Laure Mafo

Divas. Qu’est-ce que vous avez apprécié dans cette culture coréenne qui semble très hermétique aux étrangers ? 

L.M. Les Coréens sont très accueillants, c’est ce qui m’a aidée dans mon intégration dans ce pays. Cependant, lorsque vous arrivez en Corée du Sud, la première question qui vous est posée, c’est : quel âge avez-vous ? De cette question vont découler toutes les interactions sociales. Si vous êtes plus âgée, une distance va de suite se créer avec certains groupes, même si vous êtes étudiante et que vous êtes dans la même classe. Cette règle sociale m’a pesé et continue de me peser. Il y a ainsi en Corée des règles qui peuvent être contraignantes mais auxquelles il faut se plier. Mais chaque étranger a une expérience différente de son arrivée en Corée du Sud. En ce qui me concerne, cela s’est bien passé. Aujourd’hui, les Coréens sont très fiers de voir une Africaine s’intéresser à leur culture comme je le fais, parler leur langue, perpétuer leurs traditions et montrer ainsi un respect pour ce qu’ils sont. 

Divas. Maintenant que vous vivez en Corée du Sud, est-ce que la France et le Cameroun font encore partie de votre vie, et si oui, comment ? 

L.M. Les trois cultures font partie de moi et ce que je suis aujourd’hui. Les fondamentaux de la vie, c’est-à-dire savoir se comporter en société, le respect des autres, me viennent du Cameroun, ce sont des préceptes que l’on m’a inculqués lorsque j’étais enfant. À Paris, j’ai compris ce que signifiait l’affirmation de soi, savoir partager ses idées, argumenter, se faire entendre et se faire comprendre, toujours dans le respect de l’autre, je l’ai appris lorsque j’étais en France. La Corée du Sud m’aide à réaliser mon rêve et à vivre ma passion. C’est ainsi que ces trois cultures me constituent aujourd’hui. Cela se manifeste dans mes 

tenues par exemple. Lorsque je me produis sur scène, je porte toujours une pièce de tissu africain avec le hanbok, la tenue traditionnelle coréenne, que je revêts, mes cheveux étant coiffés à l’africaine. C’est ma façon d’affirmer et d’afficher cette double culture africaine et coréenne que je porte en moi dorénavant. 

Divas. Est-ce possible de réunir un jour musiques africaines, chant Pansori et instruments de musique traditionnelle coréenne dans un seul ensemble, et si oui, pourriez-vous oeuvrer à un tel rapprochement? 

L.M. Il y a peu de temps, j’ai travaillé sur un projet pour lequel je chantais le Pansori en coréen et en français, accompagnée par des instruments de musique africaine comme le djembé et le balafon. C’est une expérience nouvelle. Pour m’imprégner des chants africains, je retourne le plus souvent possible au Cameroun, et j’essaie d’intégrer cela dans mes projets artistiques. Ça serait génial d’opérer ce crossover entre les différentes cultures pour montrer que c’est possible. 

Divas. La K-pop est connue dans le monde entier grâce à des groupes comme BTS ou Blackpink, c’est la musique coréenne la plus écoutée et la plus exportée. Quelle est la place du Pansori sur l’échiquier musical coréen ? 

L.M. Il existe une évolution du Pansori notamment avec le Pansori Fusion qui intéresse beaucoup les jeunes. Le Pansori résistera à la vague K-pop. C’est un genre musical qui existe depuis très longtemps et qui sera encore présent. 

Divas. Aimeriez-vous jouer en France, et pourquoi pas un jour au Cameroun ? 

L.M. J’espère me produire un jour en France et au Cameroun. Il ne reste qu’à trouver le bon projet.

par Eléonore Bassop