Sommet sur l’IA à Paris : l’Afrique aussi est dans la course
L’intelligence artificielle (IA) est aujourd’hui présente dans tous les domaines de nos vies. Elle est aujourd’hui la technologie qui bouleverse notre quotidien. Toutes les nations font la course aux intelligences artificielles (IA). Les Etats-Unis en tête, avec le projet « Stargate » qui mobilisera plus de 500 milliards de dollars veulent garder la main pour permettre à des « ChatGPT » d’OpenAI, des « LIaMA » de Meta de dominer le marché face à des outsiders dynamiques et percutants comme la Chine avec « DeepSeek », développé avec moins de 6 millions de dollars.
La France qui a accueilli du 6 au 11 février 2025, le Sommet pour l’action sur l’IA n’est pas en reste avec l’annonce par le président Macron d’un investissement de 109 milliards d’euros pour le développement de l’IA dans l’hexagone. Qu’en est-il de l’Afrique ? Est-elle partie prenante à la course ?
Lydie Omanga Dihandju, Vice-présidente de l’Autorité de Régulation de la Poste et des Télécommunications du Congo (ARPTC) de la République démocratique du Congo a pris part au Sommet pour l’action sur l’IA. Divas Magazine l’a rencontrée au Africa IA Village, l’occasion d’échanger avec elle sur le développement de l’intelligence Artificielle sur le continent africain.
Vous êtes la Vice-Présidente de l’Autorité de Régulation de la Poste et des Télécommunications du Congo (ARPTC) vous avez participé sommet sur l’intelligence artificielle, pourquoi ?

L’intelligence artificielle est un sujet, un domaine scientifique qui se développe très vite et qui a envahi nos vies et cela ne va pas s’arrêter. Il est important pour nous régulateurs de venir à ce genre de manifestations pour écouter, échanger, partager les expériences surtout comprendre où nous allons avec l’IA, comment nous devons y aller. Ces informations nous permettent d’initier, de proposer, de mettre à jour, mais aussi d’harmoniser la réglementation du secteur de la poste et des télécommunications que l’IA impacte.
Vous venez de dire que l’intelligence artificielle est un « domaine scientifique » mais comment la définit-on ?
On peut dire que l’intelligence artificielle (IA) désigne un ensemble d’outils, de technologies permettant à des machines de simuler, de reproduire certaines capacités cognitives humaines, comme l’apprentissage, le raisonnement, la créativité, la planification et la prise de décision. Ce processus d’imitation de l’intelligence humaine implique la création et l’application d’algorithmes exécutés dans un environnement informatique dynamique dont le but est de permettre à des ordinateurs de penser et d’agir comme des êtres humains.
Avec ce Sommet pour l’action sur l’IA, on sent bien que les différentes nations sont dans une course déclarée à l’IA. Mais l’intelligence artificielle reste encore peu accessible dans de nombreux pays africains. Pensez-vous que l’Afrique est prête pour l’IA ? Peut-elle faire entendre sa voix dans le débat mondial sur l’IA ?

L’Afrique est prête pour l’IA, c’est sûr, il n’y a pas à douter ou à se poser la question ! C’est ainsi qu’elle a adopté, à travers l’Union Africaine, des cadres et des stratégies qui orientent ses états en la matière, notamment la Stratégie continentale sur l’intelligence artificielle adopté en juillet 2024 qui s’inscrit dans le cadre de l’Agenda 2063 et des Objectifs de Développement Durable (ODD), ainsi que le Pacte numérique africain, sans oublier le Cadre stratégique en matière de données et la Stratégie de la transformation numérique pour l’Afrique. Quand on sait que l’IA Act a été adopté en mars 2024 par le Parlement européen
(c’est la première loi sur l’IA dans le monde), et qu’elle ne rentrera en application que dans deux ans, on peut dire que le continent africain est dans les starting-blocks.
Cela étant dit, il est vrai que dans de nombreux pays du continent l’IA reste peu accessible, il n’en demeure pas moins que l’IA en Afrique comme le numérique est en plein essor. Plusieurs pays dont l’Afrique du Sud, acteur majeur de l’IA sur le continent, développent des stratégies, des initiatives et des écosystèmes pour favoriser son adoption. C’est aussi le cas du Nigeria, du Kenya, de l’Égypte, du Sénégal ou encore du Maroc. De nombreuses Startups IA africaines se positionnent sur l’IA, notamment dans la Fintech, la Santé, l’Agriculture. Il ne faut pas oublier que les populations africaines sont jeunes et férues de technologie. Elles sont bien placées pour adopter les technologies innovantes et contribuer ainsi à la transformation numérique et économique des sociétés africaines.

De plus, les leaders du continent ont compris que même s’ils ne pourront pas tous affecter des fonds qui se chiffrent à des centaines de milliards comme les pays européens ou les Etats-Unis, qu’ils peuvent mettre en place des politiques de renforcement des capacités des populations, développer des cursus scolaires qui encouragent les jeunes à coder, et soutenir les start-Ups innovantes.
Tout cela suppose bien entendu l’augmentation du taux de pénétration de l’internet, le développement des infrastructures et une autonomie énergétique. Ce sont les ingrédients gagnants pour que la voix de l’Afrique se fasse entendre et devienne plus forte.
Quels ont été les points clés abordés lors du sommet et en quoi sont-ils pertinents pour l’Afrique ?
Plusieurs points ont été abordés lors de ce sommet, je retiens ce qui est ressorti de la Déclaration de Paris sur l’IA à savoir :
En premier lieu les points de l’accessibilité et de l’inclusion parce qu’il faut rendre l’IA accessible à tous, en particulier aux pays en développement, afin de réduire la fracture numérique et de promouvoir une adoption équitable des technologies de l’IA.
Puis les points de l’éthique et de la gouvernance parce qu’il faut que l’IA soit »ouverte », « inclusive » et « éthique » pour éviter une concentration excessive du marché et renforcer la gouvernance mondiale en la matière et mettre en place un cadre réglementaire qui veille au respect des caractéristiques énoncées.
Et enfin le renforcement des capacités surtout en Afrique car l’Afrique est plurielle et n’avance pas au même rythme. Et ce point est fortement ressorti des discussions notamment dans celles qui se sont tenus dans le cadre du « Africa IA Village ». Le renforcement des capacités permet de promouvoir la diversité de l’écosystème de l’IA en Afrique et pour ce faire, l’Afrique peut mutualiser les compétences et les efforts du continent à travers des initiatives comme The African IA Council, portée par Smart Africa. Les initiatives visant à promouvoir une IA inclusive encouragent la formation et le développement de talents locaux en Afrique, doivent être encouragées car elles contribuent à une plus grande autonomie technologique. Nous savons tous que l’IA permet d’améliorer des secteurs clés en Afrique tels que l’éducation, la santé et l’agriculture, en proposant des solutions innovantes adaptées aux contextes locaux.
La régulation de l’IA est un enjeu mondial. Quelle approche la République Démocratique du Congo (RDC) adopte-t-elle en matière de régulation et d’encadrement de l’IA ? Existe-t-il déjà des cadres réglementaires ou des politiques en cours pour encadrer l’utilisation de l’IA en RDC ?

Dans la mesure où la RDC est membre de l’Union Africaine, elle prend en compte les stratégies et les cadres d’orientations mises en place par cette institution que ce soit en matière du numérique, des données ou de l’IA.
Mais plus spécifiquement, dès 2019, la RDC s’est dotée d’un Plan National du Numérique (PNN) 2019-2025 un document stratégique pour le développement du numérique en RDC, incluant des aspects liés à l’IA. En septembre 2022, la RDC a promulgué le « Startup Act » pour promouvoir l’entrepreneuriat et le développement des startups dans le pays. Six mois après en mars 2023 un Code du numérique pour encadrer les services numériques, protéger les données personnelles, promouvoir le commerce électronique et renforcer la cybersécurité.
En novembre 2023, Kinshasa, la capitale, a accueilli un atelier d’évaluation de l’état de préparation de la RDC à la mise en œuvre de la recommandation de l’UNESCO sur l’éthique de l’IA et depuis août 2024, du fait de la fusion dans l’actuel Gouvernement de la RDC des ministères des PTNTIC et de celui du Numérique, l’ARPTC a vu ses missions élargies pour inclure les fonctions de l’Autorité de Régulation du Numérique, de l’Autorité Nationale de Certification Électronique et de l’Autorité de Protection des Données.
Tout cela pour vous dire que la RDC a mis en place un arsenal juridique qui va permettre d’encadrer l’IA. Cet encadrement est essentiel pour limiter les dérives et gérer des risques qui sont associés à l’usage de l’IA comme les biais présents dans les algorithmes, les risques liés à l’emploi, au respect de la vie privée, au respect de la propriété intellectuelle, etc.
Quelles sont les principales opportunités liées à l’intégration de l’IA dans les infrastructures numériques congolaises ?
Elles sont nombreuses, les principales sont l’amélioration des services publiques via la digitalisation des services administratifs (état civil, fiscalité, santé, éducation), le développement économique notamment pour le secteur agricole avec des outils d’analyse prédictive et de gestion des cultures, l’inclusion financière via les Fintechs et le mobile Banking. L’IA peut permettre de lutter efficacement contre la corruption et le coulage des recettes et détection des fraudes dans les transactions financières, de lutter contre la cybercriminalité, de développer des plateformes d’apprentissage en ligne adaptées aux réalités congolaises.
Avec l’IA, on parle beaucoup souveraineté numérique. Pensez-vous que l’IA puisse aider à garantir la souveraineté numérique de l’Afrique ?
L’IA peut impacter positivement et inversement la souveraineté numérique. La souveraineté numérique est un enjeu stratégique majeur face à la mondialisation du numérique, on ne peut que la prendre en compte. On parle de souveraineté numérique au niveau virtuel comme quand on parle de souveraineté territoriale pour un pays. C’est sa préservation qui doit dicter, à mon avis, les décisions que les autorités doivent prendre si l’on considère que la souveraineté numérique d’un pays, c’est sa capacité à contrôler et à maîtriser ses données, ses infrastructures et ses technologies numériques, sans dépendre excessivement des acteurs étrangers ou de plateformes dominantes.
Vous voyez déjà qu’avec cette définition, que la réponse n’est pas forcément aisée. Est-ce que les pays ont tous cette capacité de contrôle et de maîtrise des éléments principaux de la souveraineté numérique que sont (les données, les infrastructures, les technologies, la cybersécurité, la législation, la régulation, etc.) ? En principe, ils devraient.
Pour répondre à votre question, je dirai que oui l’IA peut contribuer à la souveraineté numérique. L’IA peut être utilisée pour protéger les données, pour détecter et prévenir les cyberattaques qui menacent les infrastructures numériques nationales, pour sécuriser des données sensibles du gouvernement, des entreprises ou des citoyens. L’IA peut fournir des données précises pour les prises de décisions stratégiques, elle peut améliorer le processus électoral et garantir une transparence accrue et réduire les risques de fraudes.
Avec l’IA on peut développer des outils et des plateformes locales pour réduire la dépendance aux technologies étrangères. On peut développer des moteurs de recherches locales. L’IA peut aider à la modernisation des secteurs comme les mines, la santé, les finances, l’agriculture, aider à la protection contre la désinformation, identifier les fake news, aider à l’apprentissage des langues vernaculaires d’un pays et permettre plus de cohésion nationale, etc.
Quels projets spécifiques souhaiteriez-vous voir se concrétiser dans les années à venir pour un développement numérique inclusif en RDC ?

Je souhaite voir beaucoup de choses se concrétiser mais je vais m’appesantir sur l’éducation et le renforcement des capacités. Je souhaite que la RDC mette en place des d’écoles et des centres de formation spécialisés en numérique (développement web, cybersécurité, data science, Introduction de l’apprentissage du code et des compétences numériques dès le secondaire) et que la RDC rende la formation en ligne vraiment accessible.
L’année dernière fin octobre, j’ai passé une semaine de formation à l’Université de Berkeley à San Francisco en Californie, une semaine consacrée à l’impact de l’IA dans l’entreprise. Cette semaine de formation a été pour moi un « Game changing » sur la vision et la compréhension de l’IA et de son apport. Cette semaine a aussi été l’opportunité de visiter de la Silicon Valley, l’université de Stanford, Apple, Google et d’échanger avec les équipes de Google notamment sur Gemini, de voir comment l’écosystème des startups est implémenté avec des initiatives comme le PlugAndPlay. Cela vous permet de comprendre comment les autres pays ont fait et font, voir, toucher, ce n’est pas la même chose que « en entendre parler » ou « avoir lu » ou le encore le voir dans un docu ou à la télévision, croyez en mon expérience !

L’idéale serait que l’on réussisse à mettre en place une école comme « 1337 » comme le Maroc en partenariat avec Xavier Niel et son groupe pour former au numérique. Cette école est gratuite et n’a pas de prérequis de diplôme pour y accéder. J’avais rencontré à Paris Mikis De Bonneval, le directeur business développement du groupe Iliad, lors de nos échanges, nous avons abordé la faisabilité d’un tel projet en RDC.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes femmes qui souhaitent s’engager dans le secteur des télécommunications et de l’intelligence artificielle ?
J’ai l’impression qu’à cette question, je répète un disque en boucle. Je vais changer de tempo (rires) : Osez ! Allez-y ! Investissez les filières scientifiques ! Soyez proactives et déterminées. Ayez confiance en vous et que rien ni personne ne vous décourage ou ne vous intimide ! Formez-vous, encore et encore, posez des questions, quitte à paraître bête. Fixez-vous des objectifs. Soyez intelligentes et non artificielles !