Clenne Mouangou se destinait à une carrière dans la finance. Aujourd’hui, elle est fermière à Linzolo, près de Brazzaville, où elle a ouvert un élevage de porcs bio ! En 2012, elle décide de retrouver sa terre natale pour donner un sens à sa vie et être utile à son pays. DG de CM Agrobusiness, elle nous raconte son parcours.

Titulaire d’un master en finance de marché, Clenne Mouangou, jeune Congolaise ambitieuse et bien formée, entre à la Société Générale en janvier 2008, le jour même où éclate l’affaire Jérôme Kerviel – ce trader accusé d’avoir fait perdre à la banque la bagatelle de 4,9 milliards d’€. « Au siège de la Défense, se souvient-elle, c’était le branle-bas de combat. Ils étaient tous tellement préoccupés que personne ne s’intéressait à moi. C’était drôle et décalé ».

Un virage audacieux

En France, où elle est arrivée avec ses parents à l’âge de 2 ans, Clenne Mouangou fait toute sa scolarité et poursuit de brillantes études à l’École supérieure de gestion (ESG) de Paris jusqu’à son master. Son diplôme en poche, elle part huit mois à Londres, à la City, pour parfaire son anglais, indispensable dans le domaine où elle rêve alors de faire carrière. La Société Générale est son premier job, mais au bout d’un an elle est débauchée par HSBC. Quelques années plus tard, elle a cependant l’impression d’avoir atteint le « plafond de verre » et a envie de changer de vie car « je ne me sentais pas épanouie ». Née à Brazzaville, elle multiplie dès lors les allers-retours dans son pays natal. Jusque-là, elle ne s’y était rendue qu’une fois par an à l’occasion des vacances.

« Comme j’apportais toujours des vêtements à revendre pour me faire de l’argent de poche, j’ai eu l’idée d’ouvrir une boutique à Brazza ». Bénéficiant d’une rupture de contrat conventionnelle, elle se lance « pour être utile au développement du Congo et apporter un plus à ma communauté ».

En janvier 2012, elle ouvre ainsi sa première boutique « Tendances » dans le quartier commerçant de Moungali, puis bientôt une autre à Poto-Poto, près de l’aéroport. « Cela marchait bien, même si je faisais tout : achats, logistique, comptabilité et communication. J’ai engagé des vendeuses et ouvert six boutiques, dont une à Pointe noire, la capitale économique du pays ».

Toujours pimpante avec talons aiguilles et jupe serrée, Clenne Mouangou est devenue une femme d’affaires. Mais sa vie va à nouveau basculer pour, comme elle l’explique elle-même, « faire enfin quelque chose qui ait du sens ».

Un pari gagné

À l’aéroport, un douanier lui demande un jour : « Ma fille, est-ce que tu nous a apporté du saucisson sec ? ». La question fait tilt car Clenne connaît, à Brazza, des lieux où on ne mange du porc (qui est ici une denrée assez chère) que le dimanche. Au Congo, il y a une forte demande, mais pas assez d’offres. L’idée germe dans sa tête : « Dans le cochon tout est bon, selon l’expression bien connue. Alors pourquoi ne pas se lancer dans un élevage de porcs ? ».

La jeune femme se met aussitôt en quête de trouver un terrain à acquérir pour ouvrir une ferme et déniche enfin, en 2014, un hectare à Linzolo (à 20 km au sud de Brazzaville), là même où fut bâtie autrefois la première église catholique du Congo. « J’ai gardé en ville une seule boutique, la première où toute mon aventure a commencé, et j’ai ouvert une ferme »… Un peu à la manière de Karen Blixen.

« J’ai commencé en 2015 avec un mâle et quatre truies et, multipliant les saillies, au bout de trois ans, j’avais un véritable cheptel avec plus de 300 têtes ». À 37 ans, la voilà DG de CM Agrobusiness ! « Mon objectif aujourd’hui est de ne plus me limiter à l’élevage et de faire de la transformation. Pour que le saucisson, le jambon ou l’échine de porc, que l’on trouve ici dans tous les supermarchés, ne soient plus un luxe pour les Congolais. Ma cible désormais, c’est Kinshasa et ses 18 millions d’habitants, de l’autre côté du fleuve Congo ».

Dotée d’une volonté à toute épreuve, Clenne veut changer de dimension et passe la moitié de son temps en France à la recherche de partenaires techniques et financiers désireux d’investir au Congo. « Au début, on ne me prenait pas au sérieux, mais tout a changé en 2017 quand j’ai reçu le Prix EAF (Entreprenariat au féminin). Cela m’a donné visibilité et crédibilité. Je ne regrette rien » conclut-elle.

Son parcours original, Clenne est souvent conviée dans les collèges et institutions à le partager avec des jeunes filles auxquelles elle compte bien inculquer le courage, la détermination et le sens de l’excellence. Pour elle, cela aussi est une grande satisfaction.

Par notre envoyé spécial à Brazzaville, Bruno Fanucchi / Photos de Jacques Naismith