Passionnée depuis toujours par la photo, cette jeune artiste venue de Centrafrique…
a créé à Paris son propre style. Des photos originales qui sont des œuvres d’art qu’elle expose comme des tableaux de maître. Rencontre avec une créatrice bien inspirée, mannequin et femme d’affaires au parcours atypique et attachant.

« Je suis vraiment tombée amoureuse de Paris désert pendant le Covid »
Racontez-nous vos premiers pas en France comme réfugiée politique fuyant la Centrafrique…
Jacqueline N’Kouet : Née à Bangui, en Centrafrique, je suis arrivée en France à l’âge de 13 ans, en raison des aléas politiques dont étaient victimes mes parents et toute ma famille. Et depuis 2001, je suis réfugiée politique. On s’est installé avec ma mère et mes trois frères à Lille, où j’ai fait une grande partie de ma scolarité. C’est dans cette belle ville du Nord que j’ai passé mon brevet et que j’ai eu mon baccalauréat STG (sciences et technologies de la gestion), avant de faire une prépa HEC.
C’est toute une histoire : mon père était un homme d’affaires, il m’inspirait beaucoup et je voulais faire comme lui. Même si à l’école, étrangement, les matières qui me plaisaient le plus étaient plutôt le français et l’histoire, j’avais ce rêve d’enfant qui me trottait dans la tête.
Vous marchez sur les traces de votre père…
JN’K : C’est vrai. Je voulais absolument faire comme mon père qui fut ingénieur dans le pétrole et même PDG de la Petroca. Tout ce que je suis devenu, c’est grâce à lui, mais j’ai malheureusement perdu mon père l’année de mon baccalauréat, un 21 juillet… Une date qui a marqué toute ma vie car cela a changé beaucoup de choses. C’est lui qui m’avait conseillé de faire une école de commerce. J’ai donc passé des concours et je me suis inscrite dans une École de commerce spécialisée dans le marketing de luxe, l’ISC (Institut supérieur du commerce) de Paris.
Je me suis retrouvée toute seule dans cette grande ville en 2009, mais très vite je me suis ennuyée dans ces études.



Parce que vous connaissiez déjà bien ce milieu ?
JN’K : Pour la petite histoire, en effet, mes parents aimaient bien le luxe et m’ont élevée et cultivée ainsi. Je baignais déjà depuis longtemps dans ce milieu haut de gamme et je trouvais ainsi que je n’apprenais rien de vraiment nouveau dans ce parcours universitaire. Il fallait que je change d’orientation. Or, la même année, on m’a proposé de faire du mannequinat.
Vous allez donc vous lancer dans une nouvelle aventure ?
JN’K : Quand j’étais à Lille, toutes mes amies me disaient de faire du mannequinat, car elles rêvaient toutes de cela, mais moi cela ne m’intéressait pas du tout. A Paris, j’ai été un jour accostée dans la rue par un agent me proposant de faire quelques séances de photos. J’ai bien réfléchi puis je lui ai dit : pourquoi pas, pour payer mes études ? En parallèle, j’étais alors vendeuse chez Mango et cela pouvait compléter mes revenus car j’avais des problèmes financiers.
« Comme beaucoup d’autres, ma mère ne souhaitait pas que je sois mannequin »

Comment commence-t-on une telle carrière internationale sous les sunlights ?
JN’K : J’ai commencé par un très grand défilé au Sénégal, puis j’ai défilé pour de grands couturiers et stylistes africains comme Elie Kuame, Martial Tapolo ou Imane Ayissi. Et bien d’autres… A vrai dire, on m’avait parlé du mannequinat pendant quatre ans avant que j’accepte de me lancer dans cette aventure. Car j’étais une jeune fille très timide et réservée, d’autant plus que ma mère – qui a toujours été de bon conseil – ne souhaitait pas que je sois mannequin car elle avait peur pour moi. Comme bien d’autres mères.
J’ai alors fait une pause de deux ans dans mes études qui ne m’intéressaient pas et j’ai enchaîné plusieurs jobs avant de trouver ma voie et de reprendre un cursus universitaire à l’INSEEC Paris en 2013 pour préparer un double diplôme de « Management de projet et ingénierie commerciale ».
Et vous avez aussi travaillé dans l’événementiel…
JN’K : Comme au sein de l’École, je gérais déjà une association qui s’occupait d’événementiel, cela m’a plu et je me suis dit que c’est cela que je voulais faire dans ma vie. Ce double diplôme en poche, j’ai alors monté une entreprise d’événementiel, « Conv’In », qui marchait très bien puisque j’organisais parfois des événements pour plus de 400 personnes. Mais mon associée a rapidement abandonné et j’ai tenu pratiquement seule pendant trois ans. J’ai découvert le monde des affaires et cela m’a beaucoup appris et servi pour la suite de ma carrière.
Comment vous est venue cette passion pour la photo ?
JN’K : Très jeune, j’ai toujours pris les autres en photo, avec des appareils jetables au début. Puis j’ai été photographiée à mon tour par les autres, mais cela me créait une réelle frustration car la photographie est pour moi une véritable passion et ce n’est plus moi qui étais derrière l’objectif et faisais le travail !
Et c’est à Paris, la Ville lumière, que tout a changé…
JN’K : Quand il y a eu le Covid en 2020, c’est vraiment là que j’ai commencé ces photos d’art que vous voyez et que j’ai créé mon propre style de photos. D’autant plus que par la force des choses j’étais obligée de faire une pause dans le mannequinat puisqu’il n’y avait plus de travail.
Quand on était autorisé à sortir, je me baladais dans les rues désertes de Paris et c’est comme cela que j’ai découvert la beauté de la capitale où il n’y avait plus personne. Cela a commencé à m’inspirer, j’ai photographié les monuments historiques et je suis vraiment tombée amoureuse de Paris.
D’où le nom de mon expo dans les galeries du Palais-Royal, « Paris in my mind », car la plupart de mes clients qui achètent mes œuvres sont des étrangers. J’avais fait d’autres expos en août et en octobre derniers à Paris puis, après ces expos éphémères, je serai en résidence permanente à la Galerie Gavart (5, rue d’Argenson, Paris 8e).
Entre ces différentes expos, que faites-vous ?
JN’K : Je continue à faire du mannequinat et je défile aujourd’hui pour beaucoup de jeunes créateurs, qu’ils soient français ou africains. Pour gagner ma vie, je fais aussi des campagnes de pub pour L’Oréal par exemple (qui m’a découverte et recrutée sur les réseaux sociaux) ou des défilés à Marseille en robes de mariée haut de gamme créées par Manon Gontero. Cela fonctionne bien entre nous.
J’ai commencé aussi à créer des tenues un peu originales parce que ce que l’on me demandait de faire dans la mode me semblait trop stéréotypé. J’avais l’impression que je ne pouvais pas mettre mon identité dans ce que je faisais. J’ai commencé à faire des autoportraits pour mettre un peu en avant ma culture africaine, tout en soulignant que j’aimais beaucoup la France.
Pour cette première photo exposée ici, dans cette galerie du Palais-Royal, j’ai travaillé avec un photographe togolais professionnel, David Ekue. Mais je ne souhaitais pas que l’on me reconnaisse et que l’on fasse de simples photos de mannequins, aussi belles soient-elles. D’où une véritable mise en scène sérieusement travaillée pour chaque photo, que je ne tire qu’à vingt et un exemplaires. Car mon slogan, c’est : « L’originalité n’exclut pas la beauté ».

« L’originalité n’exclut pas la beauté »
Voilà une superbe devise !
JN’K : Depuis mon jeune âge, on m’a toujours dit que j’étais étrange… Je savais que j’étais différente car j’aimais beaucoup mixer les cultures. Dans l’événementiel, quand j’organisai des mariages pour des personnes de cultures différentes, c’était mon credo : je leur proposai de rechercher des traiteurs qui allaient faire de la cuisine fusion de leurs deux origines, et je leur faisais une décoration vraiment atypique. Mais il y avait toujours une culture qui l’emportait sur l’autre.
Vous revendiquez vous-même une double culture…
JN’K : Comme je vis en France depuis l’âge de 13 ans, tout mon travail d’artiste tourne aujourd’hui autour de cette double culture. Avec la difficulté de mettre en scène, de concilier et d’équilibrer ces cultures différentes. Quand je repars en Afrique, pas forcément dans mon pays d’origine, on me dit que je suis Française et, en France où je vis pourtant depuis 23 ans, on me dit que je suis une étrangère et on me demande mes origines. Sauf que nous autres, c’est-à-dire les gens comme moi, nous sommes les deux à la fois. Dans mon travail, j’essaie toujours de trouver un juste milieu : ne pas faire trop Française ou trop Africaine. Et de transmettre ce que je ressens en mon for intérieur.


Comment vivez-vous cette double culture ?
JN’K : Moi, très bien ! Mais je pense qu’il y a en revanche des gens qui le vivent très mal. Je vois beaucoup de personnes se cachant derrière cela. Des personnes qui sont nées en France se disent Africaines et c’est tout. Ce qui n’est pas logique car elles ne connaissent parfois même pas la culture de leur pays d’origine.
Moi, j’ai eu la chance de vivre et de grandir en Centrafrique jusqu’à l’âge de 13 ans et il y a pas mal de choses que mes parents m’ont inculquées car cela leur semblait important pour moi, même si mon pays est francophone et que j’allais dans une école française. Ils m’ont inculqué des valeurs africaines et centrafricaines et je leur en sais gré. Quand je vais en Afrique, j’amène ou je ramène des tissus comme cette jupe en paille, tenue traditionnelle qui vient du village de ma grand-mère. Et j’essaie de valoriser et de rendre beau ce que l’on a tendance parfois à trouver pas forcément attirant… Voilà le sens de ma démarche visant à mélanger les cultures.
« Je vis très bien ma double culture, mais certaines le vivent très mal »
Vous aimez aussi créer des bijoux tout à fait originaux…
JN’K : En réalité, je crée des bijoux et des vêtements pour mes photos, mais ce sont souvent des tenues qui servent essentiellement à la mise en scène. Je ne les vends pas car elles ne sont pas finies avec soin. Au contraire des bijoux que je confectionne avec un artisan colombien. Je fais ainsi des bijoux atypiques comme ces pendentifs avec des corps de femme, en bronze plaqué or. Si vous consultez notre site (www.purecreatifs.com), vous découvrirez plein de belles choses.
A part la photo et la mode, quelles sont vos autres passions ?
JN’K : J’aime beaucoup la culture et l’histoire. Je regarde toujours à la télévision « Secrets d’Histoire » de Stéphane Bern qui raconte avec talent l’histoire de France et me fait découvrir et comprendre beaucoup de choses sur la France.
Mais j’ai aussi une carte de ciné et je vais très souvent au cinéma. Je viens ainsi de voir le dernier film sur Aznavour que j’ai adoré. J’ai beaucoup apprécié aussi ce superbe film retraçant la vie de Lee Miller, une Américaine mannequin, devenue photographe de guerre durant la Seconde Guerre mondiale. Et dont le rôle est interprété par Kate Winslet. Je m’intéresse enfin à la philosophie comme à l’histoire et je suis actuellement un séminaire d’histoire de l’art.
Un dernier mot sur la Centrafrique, où vous espérez retourner un jour ?
JN’K : J’ai quitté ce beau pays très jeune et je n’y suis jamais retournée car j’ai toujours le statut de réfugiée en France et je ne peux pas y retourner sans perdre ce statut qui est précieux en France. Mais j’ai bien évidemment envie d’y aller un jour car je reste très attachée à ma culture.
J’apprends beaucoup de choses à mon compagnon qui, lui, est Français. Je lui cuisine des petits plats de chez moi comme le fameux Koko, c’est un plat typique à base de pâte d’arachide, de viande et de feuilles de koko. Depuis très jeune, j’adore cuisiner. Ce sont mes tantes et mes cousines qui m’ont tout appris. Car à côté de la scolarité classique, il y a aussi l’école de la vie.
Pour vous, tout va donc bien aujourd’hui ?
JN’K : Non ! Le monde ne va pas, comme vous le voyez bien, et j’en suis désolée. Mais la vie cependant est belle quand on le décide ! C’est une question de volonté et de tempérament.

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« La vie est belle quand on le décide ! »