par Marie-Michaël Manquat Lassource
Crédit photo: Christelle Marceny Stain

« Combien d’anniversaires, de baptêmes, de mariages et même d’enterrements ai-je ratés parce que trop loin des miens ? C’était sans doute le prix à payer pour mener une vie hors norme, que cependant je ne regrette pas une seconde ». 

Ecrit par une autre, Loin de l’amer aurait pu commencer ainsi : Il était une fois, une petite Martiniquaise… Dans ce livre, Jocelyne Béroard prend le risque de se mettre à nu et de livrer sa belle plume au jugement des lecteurs. Elle s’y raconte, en passant de sa vie privée à sa vie professionnelle d’artiste antillaise qui évolue partout sur les scènes françaises et au-delà des mers, des terres qu’elle parcourt depuis ce jour où elle prit la décision d’abandonner ses études de pharmacie afin de vivre des fruits de sa passion, la chanson. Des sacrifices, elle en a fait cette petite fille devenue grande, qui comme ses parents, ses oncles, ses tantes et bien d’autres avant elle, ont quitté leur île natale pour l’Hexagone. Sa Martinique, sa famille à laquelle elle est très attachée lui manquent, malgré cette éducation stricte à l’antillaise attachée aux valeurs d’antan. Après ses débuts d’étudiante à Caen, elle lie des amitiés et croise la route d’artistes pour lesquels elle s’amuse d’abord à être choriste. Page après page, la chanteuse se dévoile en toute pudeur. Ses sentiments, ses émotions, se libèrent sans contrefaçons, il est vrai que ce n’est pas dans ses habitudes. Réputée pour son franc-parler, qu’elle a dès son plus jeune âge dans des débats avec son père, elle impose sa verve au sein groupe Kassav’, car étant l’unique chanteuse, elle doit trouver ses marques. Le lecteur se retrouve pris entre les larmes et les rires, sous cette plume vive et haute en couleur. Jocelyne Béroard nous chavire, tantôt grave, moqueuse, parfois coquine, sans jamais se départir de cet amour fraternel et amical. De son histoire personnelle, nous apprenons qu’elle est marquée par la perte de celle qui lui apprit à poser des étagères et à bricoler dans une maison. Sa mère en effet décède en 1989, peu de temps avant la défection amoureuse de celui qu’elle devait épouser en 1990, parce que finalement, il lui préfère une relation loin des vibrations et de la vie tumultueuse d’artiste. Un épisode qui lui inspirera sa chanson Ké sa lévé. La chanteuse reste proche des siens, tout en parcourant le monde avec sa deuxième famille. Elle nous dévoile quelques aventures vécues avec les garçons et les autres filles choristes-danseuses du groupe, comme cette anecdote de 1989, où la Russie découvre Kassav’, et devant l’engouement, se retrouve à jouer les prolongations avec trois dates de concerts à guichet 

fermé au lieu d’une seule initialement prévue. Une autre encore, au Chili, quand le groupe découvre que les titres de Kassav’ sont plagiés, mais les Chiliens ne veulent rien entendre, pour eux c’est Kassav’ les plagieurs ! 

« En Afrique et en Haïti, nous avons vécu des moments dangereux, des instants de vraie tension. Mais la pire chose qui nous soit arrivée en concert est pourtant survenue en France », raconte la chanteuse de Kassav’. Page 184, nous apprenons que Béatrice, la manageuse du groupe, est blessée par balles lors d’un concert en extérieur à Créteil pour la Fête de la musique. Le célèbre groupe a aussi connu des moments de joie en France comme leur première grande scène dans la mythique salle du Zénith de la Villette en 1985, et cet anniversaire des 30 ans de Kassav’ célébré au stade de France en 2009, sans oublier celui des 40 000 spectateurs pour leur 40e anniversaire le 11 mai 2019 à Paris La Défense Arena. Couronnée première femme disque d’or aux Antilles en 2014, elle est élevée officier de la Légion d’honneur, et en 2020, officier de l’ordre des Arts et des Lettres. 

Les anecdotes aux parcours malheureux ou heureux contées par la femme d’aujourd’hui attachée depuis toujours à son identité antillaise et à sa langue créole, nous entraînent en cadence soutenue jusqu’à devoir parfois reprendre notre souffle, comme lorsqu’on la regarde chanter et danser sur scène. Au fil des pages, on découvre aussi son engagement pour la cause féminine, et son attachement au devoir de mémoire avec l’association du CM98. Cette autobiographie à l’intrigue passionnante et illustrée d’oeuvres signées de photographes reconnus, nous retrace l’histoire du plus célèbre groupe français, Kassav’, qui grâce à ses tournées à travers la Planète, laisse à jamais dans les mémoires, sa force de guérison. Zouk la sé sel médikaman nou ni ! 

Loin de l’amer 
Jocelyne Béroard 
Editions Le cherche midi (mars 2022) 
Prix : 19,50 €, 283 pages 
Genre : Biographie Autobiographie