Au pays des Mosuo peuple matriarcal en sursis
Au nord-ouest du Yunnan, quelque part en Chine, une ethnie matriarcale a longtemps fasciné les ethnologues avant que les touristes ne soient à leur tour captivés par ses coutumes, préservées tant bien que mal face à une modernité galopante. Notre reporter est allée à la rencontre de ces femmes qui pratiquent l’amour libre et pour qui le mariage n’existe pas.
On se pose d’abord à Lijiang, petite ville perchée à 2 400 mètres d’altitude dont les maisons anciennes, aux toits courbés vers le labyrinthe des canaux, justifient l’inscription au Patrimoine mondial de l’Unesco. Pour la suite de notre périple, Ayibuga, jeune Mosuo, nous accompagne avec un traducteur. Il ne vit plus dans le village de sa mère comme le veut la coutume, nous dit-il en guise d’introduction, car il a trouvé du travail en ville. Les temps changent aussi au fin fond de la Chine… Plusieurs heures de voiture nous attendent jusqu’au lac Lugu, le lac sacré des Mosuo baptisé « lac Mère », dominé par la montagne Gemu, incarnation de leur déesse protectrice. La route grimpe à 3 000 m à travers des montagnes sculptées de rizières en terrasses. En contre-bas, le Yang-Tse-Kiang apparaît dans sa rumeur lointaine, non loin des fameuses gorges du Saut du Tigre, mais bien en amont du gigantesque barrage des Trois-Gorges.
Chez Zhimahamu
Le premier village Mosuo se signale à travers une forêt de résineux où s’éparpillent quelques fermes en rondins sur terre battue derrière leur palissade en bois avec, sous les toitures, des crânes de vaches fixés comme des totems… Nous sommes attendus par une aïeule coiffée d’un turban et d’une longue robe indigo « Une Dabu », précise Ayibuga, une chef de famille qui revient de faire paître ses chèvres. Elle s’appelle Zhimahamu, a 76 ans, huit enfants et vingt petits-enfants. On ne les verra pas car les hommes s’occupent du commerce du thé et de plantes médicinales tandis que les femmes travaillent la terre… À la maison, les hommes ont aussi pour mission de veiller sur les enfants de leurs sœurs car ils ne quittent jamais le giron maternel ; les femmes, elles, célèbrent les morts et sont garantes d’une vie collective équilibrée en transmettant leurs biens à leurs seules filles à leur décès.
Au milieu de la maison de Zhimahamu, une vaste pièce sans fenêtres aux murs noircis par la suie, se tient le foyer sur lequel chauffe une bouilloire. Dans la pénombre, on distingue une forme sculptée sur la paroi. « C’est Shenrab Miwo, la déesse protectrice. Pour elle, le feu ne s’éteint jamais. Sinon on fait appel au chamane et au Lama pour le ranimer », traduit notre guide. À droite, « la porte de la mort et de la vie » donne sur une sorte d’appentis. C’est là que le corps du défunt est placé avant que le lama décide de l’enterrer, en général sept jours plus tard. C’est là aussi que naissent les bébés. Encastré dans un mur, le lit de la matriarche est clos de rideaux et flanqué de banquettes où dorment les filles avant leur initiation.
Le rite de la «chambre fleurie»
C’est le jour de ses 13 ans, en présence du chamon et du lama, qu’a lieu la chaidzie, la fameuse cérémonie de la jupe de toute jeune Mosuo. « Vêtue d’une jupe de lin blanc, d’une veste rouge brodée d’or et d’une ceinture multicolore, avec sur sa fête une coiffe de fleurs, elle pose ses pieds sur un panier contenant du blé et un morceau de porc, symboles de prospérité », explique Ayibuga. Jour de gloire pour la jeune initiée qui reçoit la clé de sa « chambre fleurie » pour une nouvelle vie à l’écart de la pièce principale. Elle va y recevoir le soir en toute liberté le garçon de son choix et en changera à sa guise. « Ce dernier ne doit pas insister si la clé n’est pas au clou et se montrer discret en partant avant le jour s’il est accepté », sourit Ayibuga qui a l’air de s’y connaître. Sinon le contrevenant est bon pour quelques jours de travail…
Quand un enfant naît, le père biologique est officialisé pour éviter les liaisons consanguines mais ses oncles sont les seuls à s’en occuper. Pas de mariages et donc pas de divorces… Pas de jalousie non plus car ces « mariages ambulants » ne sont jamais des relations forcées.
Mao Tse Toung a bien essayé dans les années 1960 d’imposer la monogamie. Sans succès. Et, ironie du sort, alors que de nombreux jeunes Mosuo se laissent séduire par les sirènes de la modernité et choisissent la ville, les jeunes citadines chinoises, elles, trouvent exotique de venir se marier en blanc dans ce paysage idyllique où le mariage n’existe pas…
Texte et photos de Catherine Gary