On raconte qu’autrefois, les femmes Kui filaient la soie à l’ombre de leurs éléphants domestiqués. Aujourd’hui, dans ces villages reculés du Surin où le temps semble figé, leur art séculaire attire stylistes et grands couturiers du monde entier. Divas est allé à leur rencontre.

© Catherine Gary

MUTMEE OU LE TISSAGE À L’ANCIENNE

Les tisserandes Kui de Tha Sawang s’activent sur leur métier à tisser. Chemises d’un noir d’ébène teintes à la feuille du Diospyros, étole fuschia d’une sobre élégance croisée sur le devant, ces habiles artisanes se concentrent sur leur ouvrage du matin au soir malgré leur maigre salaire. Glissant inlassablement la navette entre les fils de chaîne, elles actionnent les pédales et les peignes, passent le fil de trame,
noué avant teinture, et font peu à peu apparaître les motifs géométriques et chamarrés qui font la réputation de ces tissages ethniques.

Un travail qui demande une patience et une minutie extrêmes avec, à la clé, à peine trois ou quatre centimètres d’une soie précieuse en fi n de journée. « Mai trois mètres seront nécessaires pour nouer le sarong et le prix du résultat ira de pair », explique une des tisserandes.

LE BROCART UN TRÉSOR NATIONAL

D’un raffinement délicat, les étoffes traditionnelles confectionnées en soie or, argent et camaïeux de couleurs naturelles ont longtemps été l’apanage de la seule famille royale… Jusqu’à ce que la reine Sirikit en décide autrement. Soucieuse de soutenir et promouvoir les artisans d’art, Son Altesse a souhaité que le port du brocart ne soit plus considéré comme un crime de lèse-majesté.

À quelques minutes de Tha Sawang, le centre de sériciculture qu’elle a fondé, enseigne la maîtrise de cet art noble et précieux. Le visiteur peut y admirer quatre tisserandes à l’oeuvre sur un même métier,
dont une à l’étage inférieur, entremêlant les fils d’or et d’argent avec une dextérité hors du commun. Difficile pour un oeil non exercé de saisir les secrets de ce travail d’orfèvre très complexe au vu des centaines de fils qui se croisent en tous sens, mais le résultant
est là, éblouissant. Ces pièces uniques, certifiées par la Royal Peacock, sont parfois offertes aux visiteurs de marque ou acquises par de riches acheteurs….

COCONS D’OR ET PIGMENTS SECRETS

Pour récolter la fibre de soie, il suffit de plonger chaque cocon dans l’eau bouillante et, d’un geste sûr, d’en attraper les premiers fils superficiels. Formée en écheveaux, la soie obtenue est lavée puis teinte par immersion dans quelques pigments intenses dont les femmes ont ici le secret, avec à la base des feuilles d’indigo macérées pour le bleu, de la gomme de mangoustan pour le jaune, de la résine de cochenille pour le rouge, de la noix de coco pour le brun… les nuances se déclinent ensuite selon l’habileté de chacune. Si cette méthode traditionnelle tend à disparaître ailleurs, au Surin, on reste fidèle à ces gestes millénaires qui donnent aux tissages locaux une valeur unique, de plus en plus appréciée.

© Catherine Gary
Le couturier Christophe Guillarmé avec une de ses créations.
© Catherine Gary

LA SOIE DE L’ISAN DEVIENT «FASHIONABLE»

À l’occasion de la Thaïland Academy 2015 en avril dernier, trente designers européens ont été invités à échanger leur expérience en travaillant main dans la main avec les artisans locaux. Quelques-uns se sont installés à Tha Sawang et ont fait des merveilles avec cette soie locale. Deux stylistes français ont été remarqués : Romuald Bertrand, créateur entre autres de la robe de Miss France pour le concours de Miss
Univers 2015 à Miami, et Christophe Guillarmé dont quelques robes glamour sont portées par les stars chaque année lors de la montée des marches à Cannes.

Textes et photos: Catherine Gary