Femmes libérées
par Serge Bilé
Le succès planétaire du film The Woman King a révélé au grand public un aspect peu connu ou méconnu de l’histoire de l’Afrique. Dans le royaume du Dahomey, les femmes faisaient la guerre avec la même témérité que les hommes. Elles formaient un régiment militaire spécifique dénommé Mino. La mort ne leur faisait pas peur et elles n’avaient pas peur de la donner en décapitant leurs ennemis.
L’une d’elles, la reine Tasi Hangbè (1708-1711), est restée dans les mémoires pour avoir fait preuve de courage, de ruse et d’audace pour vaincre ses ennemis, les Ouémènous. L’histoire est édifiante, presque incroyable. Tasi Hangbè était la soeur jumelle du roi Akaba, sous le règne duquel ont été créés justement les premiers régiments exclusivement féminins de Mino.
Tasi Hangbè ressemblait à s’y méprendre au roi Akaba. En plein conflit avec les Ouémènous, le monarque succomba à une épidémie de variole. Tasi Hangbè s’arrangea pour cacher le décès d’Akaba afin de ne pas démoraliser ses troupes. Elle s’habilla comme son frère, se fit passer pour lui, prit la tête de l’armée, et la mena à la victoire.
Si les Mino faisaient la guerre, les femmes de la région faisaient preuve autrefois également, d’une façon générale, d’une indépendance d’esprit et de moeurs plutôt libres. À cela s’ajoutait leur souci constant de s’engager en politique et d’occuper l’espace public. Une réalité observée bien avant l’avènement du royaume du Dahomey.
L’époque africaine qui correspond au Moyen Âge européen foisonne de témoignages à ce sujet. En 1240, lorsque l’empire du Mali est fondé par Soundiata Keïta, l’islam étend ses ailes. Les femmes se démarquent en refusant d’adopter les restrictions vestimentaires imposées aux musulmanes dans le monde arabe.
« Devant les hommes, elles ne se voilent point, bien qu’elles soient assidues à la prière », s’indigne le globe-trotter marocain Ibn Battûta en 1352. Choqué par le manque de « pudeur » de ces effrontées, il est interpellé également par une pratique étonnante qu’il considère comme une anomalie dans l’empire du Mali.
« Les femmes de ce pays ne voyagent pas avec leur mari. Elles ont des amis et des compagnons parmi les étrangers. Si leur mari, en rentrant chez lui, trouve sa femme avec son compagnon, il ne désapprouve point cela », écrit Ibn Battûta avec effarement.
Dans l’empire du Mali, les femmes tiennent une place primordiale. Dès ses premiers mois de règne, Soundiata Keïta fait adopter une Constitution, la charte de Kouroukan Fouga, qui reconnaît des droits et des libertés individuelles. L’un des articles stipule : « Les femmes, en plus de leurs occupations quotidiennes, doivent être associées à tous nos gouvernements ».
À la suite de Soundiata Keïta, les empereurs qui se succèdent associent logiquement leur femme à l’exercice du pouvoir et au prestige qui en découle. C’est le cas du Mansa Souleiman (1341-1360). Malgré un redressement des finances royales, obérées par les largesses de son prédécesseur, il s’attire les foudres de ses sujets qui le « détestaient pour son avarice ».
Sa femme ne le porte pas non plus dans son coeur. La reine Kasa finit par se dresser contre son impopulaire mari et par fomenter un coup d’État, ni plus ni moins. Elle dépêche une de ses esclaves chez le cousin de l’empereur.
Elle lui demande de prendre le pouvoir, en l’assurant par ce message on ne peut plus clair : « Moi et tous les soldats sommes à tes ordres ! »
Manque de chance pour la reine, sa messagère
est arrêtée. Elle avoue son forfait. Mansa Souleiman jette sa femme en prison et en épouse une autre. Mais « les gens parlèrent abondamment du fait et blâmèrent l’action » du souverain, qui est contraint de libérer Kasa pour faire taire la grogne.
Lorsqu’il promulgue la charte de Kouroukan Fouga, Soundiata Keïta a forcément à l’esprit le rôle essentiel qu’ont joué sa mère Sogolon et sa soeur Nana Triban dans son accession au trône. La première l’a élevé dignement en faisant fi des moqueries des mégères de son village sur l’infirmité de son fils, incapable de marcher jusqu’à l’adolescence. La seconde l’a aidé à vaincre son ex-mari Soumahoro Kanté en lui révélant le secret de sa vulnérabilité.
Est-ce en hommage à Sogolon et à Nana Triban que Soundiata Keïta fait graver dans le marbre le respect indiscutable dû à la population féminine dans l’empire du Mali ? « N’offensez jamais les femmes, nos mères ! », décrète l’un des quarante-quatre articles de la charte de Kouroukan Fouga, qui précède la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen adoptée en France en 1789.
Si les femmes africaines sont libérées sous le règne de Soundiata Keïta et de ses successeurs, elles le sont déjà aussi, bien avant, dans l’empire du Ghana. Et pour ne rien gâcher, elles manient également l’humour et l’effronterie. Le géographe andalou du XIe siècle El-Bekri rapporte une scène savoureuse survenue à Sama, une ville où « les hommes ne portent pas la barbe et les femmes se rasent le crâne », à l’exception des étrangers.
Une femme croise un jour dans les rues de Sama un Arabe portant une longue barbe. Elle le dévisage et lui dit quelque chose dans sa langue. Ce dernier, n’ayant pas compris, se tourne vers son interprète qui lui traduit, embarrassé, la réflexion de la passante : « Elle dit qu’elle souhaiterait avoir une barbe comme la tienne… là où tu penses. »
L’Arabe explosa de colère et abreuva la femme d’injures.
Couverture: Amazone, la statue géante en bronze de 30 mètres, représentant une des guerrières historiques du Bénin © DR