Le kaba, un héritage qui perdure
L’apparition, puis l’évolution du kaba ngondo, pièce forte du vestiaire traditionnel sawa – peuple du littoral camerounais – devenue un emblème national, révèle une histoire culturelle fascinante.
Institué dès le milieu du XIXe siècle par des missionnaires troublés de voir la nudité de leurs servantes, le kaba (transcription de l’anglais cover qui signifie « couverture ») n’était à l’origine qu’un ample sac de toile percé d’ouvertures pour faire passer la tête, les bras et les jambes. Assorti d’un foulard, il est initialement destiné aux domestiques mais s’étoffe peu à peu et prend ses lettres de noblesse à mesure que les femmes dualas s’initient aux travaux de couture – en contextualisant le style victorien avec ses longs jupons amples, alors en vogue parmi les colons.
Assorti d’un foulard, il est initialement destiné aux domestiques mais s’étoffe peu à peu et prend ses lettres de noblesse à mesure que les femmes dualas s’initient aux travaux de couture – en contextualisant le style victorien avec ses longs jupons amples, alors en vogue parmi les colons.
Vêtement contestataire, attribut identitaire
Bientôt, le kaba devient le signe distinctif des élégantes de haut rang qui s’habillent vertueusement, conformément à leur éducation chrétienne « civilisée » et qui, en prime, ont les moyens de s’offrir du tissu – matériau onéreux pour les autochtones de l’époque.
À ce stade, de façon ambiguë, le kaba incarne à la fois la domination coloniale exercée sur les populations locales et la défiance de ces dernières envers les codes qui leur sont imposés. Ce qui était une tenue disgracieuse est devenue, par une forme de réappropriation, un vêtement d’apparat, signe d’appartenance communautaire. C’est ainsi que le kaba fait son entrée dans les assises traditionnelles, les assemblées tribales et les cérémonies rituelles.
À partir des années 1940, les clans et familles sawa commencent à se servir du kaba comme étendard pour afficher leurs armoiries. Cette coutume en préfigure une autre qui consiste à sélectionner – ou à faire produire – un imprimé pour tel ou tel événement (mariage, décès…). Dans un même ordre d’idées, il y a une coupe de kaba pour chaque circonstance. Par exemple, le volumineux kaba nindènè est réservé aux grandes occasions, tandis que le kaba mukuku, plus sobre, est porté dans le cadre d’activités associatives (chorale) ou en signe de veuvage. Mais, en dépit du prestige et de la solennité qui lui sont ainsi conférés, le kaba tombe en désuétude.
La rançon du succès ?
Ce n’est qu’au début des années 1980 que la mode du mini-kaba remet ce vêtement au goût du jour. Il devient, par la suite, source d’inspiration pour de nombreux créatifs et couturiers locaux. L’encolure carrée du début se prête alors à toutes sortes de fantaisies. Certains jouent sur la longueur ou l’amplitude du tomber, d’autres imaginent des effets de manche… L’architecte Caroline Barla, elle, a osé le réinventer en version denim avec son label Caramelle. Ly Dumas, sous sa griffe éponyme, l’a réinterprété avec le ndop, tissu royal artisanal du grassland camerounais. Katherine Sylvie N’Koulou, créatrice de Kathers, installée à Abidjan, s’en est fait l’ambassadrice en Afrique de l’Ouest. Et, cette année, chez Maison D’Afie, marque fondée en 2010 par Sarah Divine Garba, il est au cœur d’une collection hommage à la culture sawa, baptisée « Ngondo ». Peu avant cela, fin 2017, le kaba a même fait le buzz dans le monde lorsque la designer Stella McCartney en a présenté un modèle dans sa collection Printemps-Été 2018, affiché au prix ahurissant de 1 175 $ (près de 700 000 francs CFA) ! Sur les réseaux sociaux, nombreux sont ceux qui ont crié à l’appropriation culturelle, à l’exploitation abusive de ce qui est à présent considéré comme un trésor patrimonial.
Preuve s’il en est qu’au-delà des déclinaisons et des emprunts dont il peut être l’objet et qui menacent potentiellement de le « diluer », le kaba reste un symbole culturel fort qui ne semble pas près de disparaître.
Texte de Betty Ntonye