Depuis quelques années, on voit fleurir sur les réseaux et médias sociaux l’expression “black Love”. En 2023, le hashtag comptait plus de 12 millions de publications sur le seul réseau social instagram. L’expression black love nous vient tout droit de la communauté afro-américaine et n’est pas du tout nouvelle. Bien avant que le terme soit labellisé par les internautes, Le black love avait fait son apparition dans la culture populaire américaine. Terme purement marketing ou nécessité, les partisans et les détracteurs du Black Love s’opposent dans un débat sans cesse réactualisé.

Le Black Love, qui est la célébration de l’amour entre personnes noires, est une réponse de la pop culture afro-américaine à plus de 500 ans d’oppression. En 1945, l’homme d’affaires John H. Johnson fonde le magazine Ebony. Petit-fils d’esclave, l’homme positionne le magazine comme un outil de valorisation de l’image des Noirs. Une image empreinte de stéréotypes racistes véhiculés par les médias blancs. Qu’il s’agisse de bandes dessinées, de publicités, de shows TV ou même de chansons, l’homme et la femme noire sont moqués et déshumanisés. S’adressant principalement aux femmes noires, cette nouvelle catégorie de médias contribue à restaurer la famille noire, au sein d’une population où l’amour entre personnes noires est un défi depuis la période de l’esclavage marquée par la déportation des hommes et le viol des femmes.

Encouragé et idéalisé, le Black Love s’impose à travers différentes productions artistiques, allant de la musique au cinéma, en passant par les séries TV. Le Black Love est accolé à des termes tels que “Black Proud” ou “Black Excellence” et plus récemment Black Lives Matter.

Entre les années 70 et la fin des années 90, le Black Love est particulièrement porté par des films et séries TV dans lesquels quasiment tous les protagonistes sont noirs. C’est la grande époque des sitcoms familiales et des comédies romantiques. Après de longues années de lutte pour leurs droits civiques (Martin Luther King a d’ailleurs tenu pendant plusieurs années une tribune dans le magazine Ebony), les Afro-Américains veulent souffler et se divertir. La célébration du Black Love à travers leurs écrans de télévision leur permet de s’évader un peu d’une triste réalité : la pauvreté, la drogue qui gangrène les ghettos et l’incarcération de masse des hommes noirs.

Les productions naviguent entre activisme et simple divertissement. Des réalisateurs tels que Spike Lee ou encore Tyler Perry deviennent des figures de proue de la représentation des personnes noires. Après des décennies d’appropriation culturelle et de vol, les Noirs peuvent enfin revendiquer leur culture et leur musique. Des artistes tels que Michael Jackson ou encore Whitney Houston explosent sur le plan international. Des films tels que Love Jones, Brown Sugar ou encore Love and  Basketball,  deviennent  des références. Oncle Phil et Tante Vivi deviennent aussi iconiques que leur neveu Will Smith, le “Fresh Prince” de Bel-Air. Les personnages noirs semblent enfin être autorisés à avoir, à l’instar de leurs homologues blancs, l’amour, la gloire et la beauté.

En 1993, l’auteure et coach holistique Ayo Kandy-Hendi crée le “Black Love Day”. Célébré le 13 février, une journée avant la Saint-Valentin, le  Black  Love  Day  est  désormais une institution. Cette journée invite les personnes noires à afficher l’amour qu’elles portent à leur communauté et à leur culture. Largement plébiscitée dans les médias, cette initiative est aujourd’hui partie prenante du “Black History Month” qui a lieu du 1er février au 1er mars.

Les années 2000 marquent un tournant avec une forme de mondialisation  des  productions  artistiques. Si les “Black Powerful” couples tels Denzel et Pauletta Washington (ensemble depuis 1983) ou encore Magic et Cookie Johnson (ensemble depuis 1991), sont la preuve que le couple noir est un projet solide et viable, on assiste à une sorte de tournant médiatique. Comme si en termes de représentativité le job avait été fait, les productions mettant en scène des couples noirs se font plus rares. Les acteurs et actrices phares de cette période commencent à intégrer des productions plus mainstream, quitte à jouer des rôles secondaires et stéréotypés. De leur côté, les films afro se font plus réalistes et moins candides, malgré la plastique parfaite des hommes et les tissages bien lisses des femmes. Le Black Love prend du plomb dans l’aile. Le film Baby Boy de John Singleton en est une parfaite illustration. Malheureusement, ce sont des productions parfois trash qui rencontrent le plus grand succès en dehors des États-Unis.

Les chanteurs emblématiques du Black Love tels que Brian McKnight ou Babyface commencent à laisser la place aux clips de gangsta Rap tournés dans des clubs de strip-tease.

Des chanteuses comme Mary J. Blige ou Faith Evans détaillent par le menu leurs relations amoureuses toxiques avec des hommes noirs. C’est la fin du devoir d’exemplarité. De nombreux couples iconiques du Black Love comme Whitney Houston et Bobby Brown, Toni Braxton et Keri Lewis ou encore Kelis et Nas connaissent des divorces largement commentés par la presse people.

Cette nouvelle génération d’artistes noirs et célèbres bien au-delà des frontières américaines ne veut plus être l’argument marketing qui fait vendre. Les artistes noirs revendiquent le droit d’être eux-mêmes. Nombre d’entre eux commencent à s’afficher dans des couples mixtes. Cela n’altère pas leur cote de popularité.

En 2010, l’adaptation de la pièce For Colored Girls Who Have Considered Suicide When The Rainbow is Enuf, de la dramaturge et poète Ntozake et poète Ntozake Shange, marque un tournant dans la carrière du réalisateur Tyler Perry. Celui qui s’est fait connaître  par ses comédies fait des choix plus dramatiques. C’est d’ailleurs lui qui produira le succès international Precious, qui a révélé l’actrice Gabourey Sidibe.

En 2017, Oprah Winfrey s’empare du terme pour en faire une série qui rencontre un franc succès sur sa chaîne OWN. La série, qui compte à ce jour six saisons, explore tous les aspects et les enjeux du Black Love à l’ère moderne. Il n’est plus question de combattre les stigmates de l’esclavage sur l’image des Noirs. Le couple Michelle et Barack Obama est tout de  même passé par la Maison-Blanche. Les Noirs ont désormais plus à se prouver à eux-mêmes qu’aux autres.

Dans “Black Love”, Oprah va plus loin que ceux qui l’ont précédée dans cette lourde tâche qui est de défendre le couple noir. Peut-être parce qu’elle est une femme, et que le Black Love a beaucoup plus profité aux hommes noirs qu’aux femmes noires ? Il n’y a qu’à observer le nombre de couples promus sur la scène médiatique dont les deux protagonistes étaient acteurs. Les hommes qui ont bénéficié de l’exposition médiatique générée par le Black Love ont eu de meilleures opportunités en termes de carrière : Will Smith/Jada Pinkett, Boris Kodjoe/Nicole Ari Parker pour ne citer qu’eux.

C’est la fin de la fétichisation du couple noir à des fins purement marketing

La réalité, c’est que Hollywood ne veut pas faire la promotion du Black Love. Le Black Love ne semble vendeur qu’au sein des communautés noires. Dès lors que l’on sort de ce paradigme, c’est le métissage qui prime.

En Europe, les représentations médiatiques du couple noir sont quasi inexistantes. Qu’il s’agisse des magazines, du cinéma ou de la publicité, le couple mixte paraît être le seul dans lequel une personne noire puisse s’épanouir (à l’exception des images des campagnes de sensibilisation au VIH-SIDA). Cette invisibilisation du couple noir est source de complexes de la part de personnes noires qui subissent une double injonction : celle de correspondre aux canons de beauté médiatiques (occidentaux), couplée à celle d’essayer de s’émanciper en sortant de sa communauté. Les représentations comptent et elles contribuent à se forger une estime de soi et de l’autre. On assiste alors à une survalorisation des personnes non noires et une stigmatisation des groupes minoritaires. Des hommes et des femmes se voient affublés par les membres de leur propre communauté, de termes tels que “blédards”, “niafou”, “Fatou fâchée”…

Si l’on ajoute à cela le spectre du communautarisme que l’on agite au visage de toutes les personnes qui souhaitent valoriser une expérience communautaire, on arrive à un véritable rejet de concepts tels que le Black Love. En 2016, sur le Twitter français, des jeunes hommes noirs avaient même lancé le sinistre hashtag : tout sauf une femme noire. Comment leur en vouloir lorsque leurs héros, chanteurs, footballeurs, acteurs à succès, sont si peu nombreux à s’afficher avec des femmes noires ?

Le rejet de la femme noire sur le marché de l’amour n’est pas une exception française. En 2014, le site de rencontre américain OkCupid dévoile, dans une étude menée auprès de ses utilisateurs, que les femmes noires sont celles qui ont le moins de succès. Christian Rudder, l’un des fondateurs du site et auteur du livre “Dataclysm : Love, Sex, Race, and Identity-What Our Online Lives Tell Us about Our offline Selves”, explique comment les préjugés raciaux ont un impact sur la société. L’étude menée par le site révèle également que les femmes noires sont celles qui montrent en majorité de l’intérêt pour les hommes noirs, alors que la réciproque n’est pas vraie : les hommes noirs vont beaucoup moins vers les femmes noires, toujours selon cette étude.

Malgré ces obstacles et ses détracteurs, le Black Love continue d’être plébiscité par les artistes, mais de manière plus réaliste. Des séries comme Insecure (2016-2021) d’Issa Rae, ou encore des films tels que Moonlight (2016) ou encore “Queen and Slim” (2019) en sont un bon exemple. On y retrouve l’idée d’un Black Love comme refuge affectif et culturel, une réponse aux oppressions du patriarcat blanc.

Si tout le monde s’accorde sur le fait que l’amour n’a pas de couleur, le Black Love est un moyen pour beaucoup de personnes de se préserver de la violence des relations dans un espace public où les Noirs font encore malheureusement l’objet d’agressions racistes. Pour d’autres, cela va au-delà, le Black Love est une manière de perpétuer une histoire familiale et ainsi préserver sa lignée tout en assurant à son éventuelle descendance la transmission de traditions et d’une culture que la société et la mondialisation tendent à diluer.

Phénomène de mode ou nécessité, une chose est certaine : le Black Love est une réalité qui a, si ce n’est le mérite, du moins l’ambition de placer l’amour et le respect au centre des relations humaines.