Sans complexe
Le sexe est partout. Dans la pub, au cinéma, à la télévision… Avec cette hyper sexualisation de la société, c’est aussi le corps des femmes qui est surexposé. Et, paradoxalement, on les entend peu – ou du moins pas assez – sur ces questions. Qu’en est-il de leur rapport à leur corps, à leur féminité, leur désir ? DIVAS vous invite à découvrir cinq femmes qui ont choisi de faire fi des tabous, qu’ils soient culturels ou religieux. Elles nous rappellent que notre corps nous appartient et que c’est notre liberté d’en faire et d’en dire ce que nous voulons. Camille, Axelle, Marie-Anne, Stella et Audrey ont créé des espaces où l’on appelle un chat un chat, où l’on évoque parfois aussi des expériences douloureuses dans l’optique de s’en libérer, de se redécouvrir et de s’ouvrir enfin les portes de l’accès au plaisir et à une féminité épanouie. Chacune d’elles, à travers des concepts qui leur sont propres, contribue à faire entendre les voix des femmes noires. Le sexe, il faut en parler, et elles, elles osent… pour la bonne cause.
Audrey et Stella, des Rendez-vous Sex Care pour les femmes
Audrey et Stella font partie de ces nombreuses femmes qui jonglent avec plusieurs casquettes. Au quotidien, Audrey travaille dans le domaine juridique, tandis que Stella a son cabinet de psychologue. Toutes les deux se sont associées pour créer les Rendez-vous Sexe Care. D’après elles, il manquait un lieu pour accueillir les femmes où elles pourraient s’exprimer sur leur sexualité, sur comment construire et conserver une vie sexuelle et affective épanouie. Le but des Rendez-vous Sex Care c’est que les femmes puissent devenir des expertes d’elles-mêmes.
Parce que oui, encore à l’aube des années 2020, les femmes ignorent énormément de choses sur leur propre corps et de facto cela impacte leur sexualité. Le fait que le clitoris soit inexistant dans les manuels scolaires de façon complète en dit long sur le sujet ; ce n’est que tout récemment que certains éditeurs ont revu leur copie. Or, convaincues que tout passe par la découverte de soi, de son corps, de son désir et donc de son plaisir, les deux jeunes femmes relèvent le défi de proposer une éducation sexuelle tardive. Ne dit-on pas : « Mieux vaut tard que jamais » ? Les femmes qu’elles accompagnent sont ravies de trouver un espace sûr où elles peuvent évoquer des sujets aussi personnels, être entendues sans jugement. Un cadre libre et respectueux des différences de chacune, où il n’est question que d’écoute et de partage. Grâce à sa formation de sexologue, Stella donne aux participantes des outils à mettre en pratique dans la vie de tous les jours.
Au départ, les Rendez-Vous Sex Care étaient des ateliers mensuels avec le même petit groupe de femmes pour créer une sorte de cercle intime et rassurant. Cette année, Audrey et Stella ont organisé une retraite, un voyage avec un groupe de femmes pour permettre de se concentrer sur soi, loin du train-train quotidien et de créer un cadre propice au lâcher-prise. Il y a aussi eu d’autres événements ponctuels. Pour la suite, elles sont en pleine réflexion sur une nouvelle formule.
En attendant, elles restent présentes et actives sur leurs réseaux sociaux Facebook, Twitter et Instagram, où elles répondent aux questions sur leurs fils d’actu ou en messages privés, redirigent vers les bons interlocuteurs lorsque cela est nécessaire, postent régulièrement des infos et des liens utiles sur la santé sexuelle et les problématiques liées à la vie sexuelle et affective des femmes noires.
Camille cartonne avec @Jemenbatsleclito
Jeune femme de moins de 30 ans, Camille se destinait à une carrière de chef. Dans le milieu de la cuisine, très masculin et très blanc, elle a dû apprendre à s’imposer et faire entendre sa voix. Après une soirée arrosée chez un ami, s’ensuit une discussion autour du plaisir féminin. Elle est la seule fille et ce qu’elle entend la choque profondément. Une avalanche de contre- vérités.
Elle prend conscience d’un problème : les hommes sont convaincus de ces bêtises et les femmes ne s’expriment pas assez. Il faut que cela change. En octobre 2018, Camille lance son compte Instagram @jemenbatsleclito. Une réponse féminine à la fameuse expression, « je m’en bats les couilles ». Le compte rencontre un succès immédiat. Il faut savoir que Camille, c’est un personnage : grande, le crâne rasé, des lunettes blanches oversize… Elle ne passe pas inaperçue. Son langage est à son image : cash.
Camille envoie valser la pudeur et la bienséance derrières lesquelles on se cache trop souvent pour justifier un silence qui n’est plus justifiable. Sur son compte, elle parle comme dans la vie. Une énergie que l’on perçoit dans chacune de ses punchlines qui résonnent en nous parce qu’on s’y retrouve énormément.
Si, pour Camille, le succès de son compte est inattendu, il est révélateur d’un besoin chez les femmes de pouvoir s’exprimer sur ces sujets qu’elle aborde sans filtre : les règles, la masturbation féminine, le rapport des femmes au plaisir, le désir féminin, le machisme au quotidien… Tout passe à la moulinette de cette grande gueule qui a le sens de la formule. Avec humour, le message passe plus facilement. Et il passe aussi bien auprès des femmes qui la remercient de les aider à se sentir normales, plus libres dans leur sexualité, qu’auprès des hommes qui en viennent à reconsidérer les choses et à les voir avec un œil neuf.
Cela dit, la démarche de Camille n’est pas du goût de tous ; elle a également des haters dont elle n’a cure, elle est simplement désolée qu’il y ait tant de femmes parmi eux. Aujourd’hui, la jeune femme gère son compte à plein temps. Pendant quelques mois elle a jonglé avec deux vies, il a fallu faire un choix qu’elle ne regrette pas. Ses principales punchlines ont été rassemblées dans un livre éponyme édité aux Éditions Kiwi.
On retrouve Camille sur son compte @jemenbatsleclito, mais également sur @jedisnonchef (où elle lutte contre le machisme dans l’univers de la cuisine et la restauration).
Marie-Anne, sex educator à Womanly Yours
Elle a suivi des formations supervisées par des sexothérapeutes pour devenir sex educator, parallèlement à un poste dans la gestion de projet informatique. Ni sexologue ni sexothérapeute, Marie-Anne insiste bien sur le fait qu’elle n’est pas médecin et n’a donc pas la capacité de signer des ordonnances pour tout ce qui est d’ordre physiologique. De la même manière, elle n’intervient pas sur la psyché en rapport avec la sexualité.
Son rôle est vraiment d’éduquer dans le sens « pratico-pratique » en ce qui concerne le sexe et la sexualité. Par exemple : amener à découvrir les zones érogènes, la fonction des organes sexuels, comment avoir du plaisir… Elle intervient sur tous les dysfonctionnements qui peuvent constituer une entrave au plaisir. C’est en échangeant avec des personnes autour d’elle, des personnes qui avaient subi un viol ou une agression sexuelle, que l’idée de s’impliquer dans l’éducation sexuelle des femmes lui est venue. Marie-Anne a fait un constat : plus le sexe est tabou dans une société, plus il y a de violence. Le tabou génère la violence autant pour celui qui l’exerce, que pour celle ou celui qui la subit. Son analyse est que souvent, tout part d’un problème de contrôle de la libido. Ces femmes que qui ont été violées et agressées ne l’ont pas été dans la rue, mais chez elles et par des proches ! Un cousin, un jeune oncle, un employé de maison, un amoureux ou encore un conjoint. Quand ce n’est pas un grand-père, un père ou un frère !
Son credo est simple : plus on parle de sexe, plus les gens sont éduqués, plus il y a un contrôle des pulsions et plus on peut circonscrire la violence sexuelle. Pour la jeune femme, Womanly Yours est un acte militant. Devant ce refus de nos communautés à parler de sexe, avec comme excuse une fausse pudeur, elle a décidé de lever le voile pour que la honte change de camp. L’éducation à la sexualité est une nécessité. Dans sa pratique elle a pu constater que « dans les relations hétérosexuelles les hommes pensent que parce qu’ils pilonnent, ils font le job. Ils sont remplis d’idées préconçues sur le corps des femmes, les désirs des femmes et, pour la plupart, ignorent où se trouve le clitoris. Quand on évoque les aspects pratiques de la sexualité 98 % d’entre eux sont largués : ils y vont à l’instinct sans se poser de questions. Beaucoup de gens ignorent jusqu’où l’on peut aller dans l’accès au plaisir. On n’a jamais fini d’apprendre en matière de sexualité, il faut rester ouvert, à l’écoute de nouvelles découvertes ».
Marie-Anne a conçu sa page Facebook Womanly Yours comme une plate-forme d’infos qui permet déjà d’apprendre par soi-même. Elle propose aussi des consultations lorsqu’il s’agit juste d’une problématique technique. Sinon, elle dispose d’un réseau pour orienter les personnes vers les spécialités indiquées. Enfin, elle organise des ateliers pour apprendre à mieux vivre sa sexualité.
Axelle, au cœur de l’intime avec Me My Sex And I
Dans le grand concert des femmes qui ont décidé de prendre la parole et de ne plus laisser d’autres parler pour elles, on entendait peu les femmes noires. Dans nos communautés, ces choses-là se gardent pour soi. Pour Axelle qui a personnellement souffert de cette chape de plomb, il était temps que cela cesse. Le 4 mai 2018, elle lance le premier épisode de Me My Sex And I, un podcast inédit qui fait entendre les expériences personnelles de femmes noires. Pour cette première saison, le casting est bien riche : on retrouve des femmes d’âges, d’horizons et de parcours divers qui jouent le jeu à fond, en se livrant en totale confiance à Axelle qui les interroge de sa voix douce. Le podcast réussit le pari délicat de sonder l’intimité des femmes sans voyeurisme. On rit, on pleure aussi en ayant le sentiment d’être le témoin privilégié d’une conversation entre amies. Chacune des invitées a accepté d’évoquer son parcours sur des sujets à la fois forts et personnels comme la famille, la sexualité, la féminité, la construction personnelle, la parentalité, la résilience…
Axelle a voulu Me My Sex And I comme un podcast inclusif, fait par une femme noire pour des femmes et des jeunes filles noires mais qui puisse parler à tous. Des femmes et jeunes filles non-noires peuvent l’écouter et, sans doute pour la toute première fois, appréhender la vérité de celles qui ne leur ressemblent pas de prime abord puis, peut-être, se retrouver dans leur vécu. Me My Sex And I s’adresse aussi aux hommes, qu’ils soient noirs ou pas, afin que les mères, les sœurs, les filles, les compagnes, les amies noires qu’ils côtoient, mais perçoivent comme un tout homogène, redeviennent des voix singulières.
La première saison est riche de sept épisodes écoutés plus de 200 000 fois toutes plate-formes confondues et disponible dans 45 pays. Me My Sex And I est le premier podcast afro-indépendant au classement iTunes et disponible sur ParlonsPlaisirféminin, SoundCloud, Apple Podcast, Google Podcast, Spotify, Sybel, Majelan, Deezer…
Retrouvez @MeMySexeAndI sur Instagram et sur AxelleJahNjike
Par Lize Moudouthe