« Jamais je n’écrirai mes mémoires ! », disait-elle. Et voilà que la muse black de la mode, la reine planétaire du disco, la redoutable James Bond girl livre une autobiographie détonante sur les coulisses de sa réussite unique. Avec en exclusivité une interview pour Divas où elle en dit plus encore !

Comment cette fille de pasteur née en 1948, élevée au fin fond de la Jamaïque avec ses quatre frères et sœurs, a-t-elle su occuper pendant plus de deux décennies le devant d’une scène alternative mondiale ouverte à tous les vents extrêmes ? Il lui a fallu au départ une sacrée dose d’insoumission, une volonté de fer doublée d’un caractère intransigeant et d’un physique hors norme pour devenir l’égérie des grands couturiers, de Kenzo et Issey Miyake en particulier ainsi que la muse d’Andy Warhol. Mais ce cocktail explosif est-il le seul secret de cette saga atypique qui nous intrigue encore ? La réponse se trouve dans cette autobiographie, intitulée d’une façon bien à elle « Je n’écrirai jamais mes mémoires ».

On y apprend qu’à 13 ans ses parents s’installent dans l’état de New York et qu’elle commence dès lors à rêver aux podiums sur les planches du théâtre du collège. A 18 ans nait sa vocation pour le mannequinat et elle s’inscrit illico à l’agence new-yorkaise de Wilhelmina. Pour se démarquer, elle n’y va pas par quatre chemins en se rasant la tête et les sourcils. « En plus de me conférer un air plus abstrait, moins attaché à une race, un sexe ou une tribu en particulier, ma tête rasée m’offrait aussi un moyen de faire partie de l’humanité tout en m’en extrayant. J’étais noire, mais pas noire ; femme, mais pas femme ; américaine, mais jamaïcaine ; africaine, mais de science-fiction »…On n’en attendait pas tant et l’agence pour la modérer la confie aux soins experts du coiffeur à la mode, André, qui, le premier, donne un vrai style à ses cheveux en les taillant en sculpture une fois qu’ils ont un peu repoussé.

A Paris où elle débarque à 22 ans en compagnie de ses copines Jerry Hall et Jessisa Lange, elle rencontre Issey Miyake, lui aussi au début de sa carrière. Une chance pour elle, celui-ci affectionne les mannequins africains et apprécie l’ambiguïté de son look androgyne. C’est donc avec lui que Grace va affiner ce style inspiré de la tradition japonaise du Kabuki, un art fait de maîtrise gestuelle et de retenue expressive. Maquillage outrancier, costumes flamboyants, mouvements théâtraux… le look est trouvé !

Paris la fascine, elle s’y installe. A part la Jamaïque, c’est là qu’elle vivra le plus longtemps.  « Baptisée au sang parisien, je me suis enivrée du glamour présent dans l’air et familiarisée avec les légendes vivantes ». C’est à Paris qu’elle rencontre en 1979 son compagnon, le photographe et graphiste Jean-Paul Goude dont elle a un fils, Paulo, musicien à ses côtés aujourd’hui. Goude parfait son personnage excentrique qui devient vite omniprésent. Dans la publicité, sur les couvertures des magazines  Vogue et Elle, dans lesdéfilés de Jean-Paul Gaultier ou au cinéma pour quelques rôles à sa mesure (ou démesure) : Conan le destructeur aux côtés d’Arnold Schwarzenegger, Dangereusement vôtre face à James Bond

Les chanteurs de Brel à Brassens, mais aussi Gréco et Piaf, tout lui plaît dans la variété française et il lui vient une irrésistible envie de se lancer dans la chanson car pas question de rester simple mannequin ! Pourtant au début elle chante faux, elle le sait, mais elle sait aussi s’accrocher en travaillant sa voix. Consciente qu’elle est moins douée que Madonna pour la danse, elle affirme sa présence sur scène en s’inspirant encore des mouvements saccadés du Kabuki. Merci Issey Miyake ! Elle jette son dévolu sur La Vie en Rose de Piaf qu’elle chante façon disco à l’inauguration du Palace en 1978. Un succès mondial. Son look androgyne lui ouvre aussi les portes des boîtes gays et dans les années 80 sa gloire est au top avec l’emblématique I need a man.

Elle se produit aussi à New York dans la Galerie de la Vingt-deuxième rue Ouest, un petit club underground qui lui rappelle les boîtes de travestis à Paris. Jouant souvent en play-back, elle s’offre en spectacle, déguisée en Dark Vador de Miyake…

Ce côté masculin très développé l’a aidée à protéger sa féminité, explique-t-elle en évoquant aussi son frère jumeau comme un élément de sa vie qui a sans doute favorisé par mimétisme sa double personnalité. « Quand on était un top model, les agences de mannequins vous mettaient entre les mains d’hommes riches, affamés et excités. Comme une escort girl ». Grace Jones a toujours su se défendre sans jamais compromettre sa liberté ! Et sans jamais non plus considérer que le fait d’être noire pouvait être un problème dans le métier. « Je suis habituellement la dernière à jouer la carte du racisme, parce que je suis toujours convaincue que les questions de race ne me concernent pas ». Pari gagné. Bravo l’artiste et bonne chance pour ces mémoires passionnantes au franc parler !

Photos : DR Texte de Catherine Gary