Des mois durant artisans et artistes sont à l’œuvre pour que la foule participe à cette fête gigantesque qui transforme la ville en une immense scène artistique où dialoguent traditions et vie contemporaine. Du jamais vu !

Honneur à Durga, une déesse mère guerrière

Cette figure spirituelle et mythique qui incarne la victoire du bien sur le mal ainsi que la force féconde de la nature est emblématique du Bengale et en particulier de Calcutta. La tradition rapporte qu’un démon-buffle agressait jadis les dieux de l’olympe hindoue en voulant prendre leur place. Si bien qu’un jour, las de ses méfaits dans leur céleste royaume, ils prièrent la divine trinité, Brahma, Shiva et Vishnou, de leur venir en aide. C’est ainsi que naquit Durga, la belle déesse aux dix bras, chacun doté d’une arme redoutable : lance, arc et flèche, hache, massue, conque, trident… correspondant aux diverses transformations dont elle est capable. Car Durga peut être mère nourricière comme donneuse de mort, dispensatrice d’amour mais aussi de colère, guerrière et mère de l’univers, joyeuse et terrible à la fois. Chevauchant sa monture, le lion, elle vint à bout de Mahishasura le démon. C’est pourquoi on la vénère chaque année durant 6 jours soit la durée de son combat contre la bête immonde, entre fin septembre et mi-octobre. Quand elle descend de l’Himalaya pour visiter ses quatre enfants : Ganesh, Lakshmi, Saraswati et Kartikeya et recevoir les hommages qui lui sont dus. On la représente toujours accompagnée des siens et n’y manque jamais le lion, sa monture, symbole de sa puissance avec à ses pieds le buffle anéanti.

A Kumartuli, quartier des potiers, les ateliers sont en pleine effervescence

C’est là qu’il faut venir plusieurs mois à l’avance pour voir les artisans à l’œuvre. Car le travail de création est long et complexe. Il s’agit de façonner des centaines de Durga ainsi que ses comparses. Il y en a partout et la rivalité bat son plein. Chaque quartier de Calcutta possède ici sa propre association pour préparer l’hommage à sa déesse. On se faufile au risque de se perdre dans ce quartier aux ruelles étroites. On pénètre sous les établis peu éclairés où chacun se livre à la spécialité qui concourra au résultat final. Tout commence avec de la paille, de l’eau et de la glaise. Cette glaise qui vient tout droit de la rivière sacrée Hooghly, affluent du Gange et qui y retournera le dernier jour de Durga Puja car tout retourne à sa source selon le cycle de la vie et de la mort. Entre temps, l’argile sera devenue œuvre d’art sacré après que les peintres l’aient ornée de couleurs chatoyantes. Seuls les artistes les plus chevronnés pourront dessiner les yeux de la divinité, lui donnant ainsi son souffle de vie humaine.

Les pandals, ces immenses constructions temporaires, accueillent les effigies de Durga

Dans cette ville tentaculaire de 14 millions d’habitants, pauvre mais pas si tragique que les images véhiculées sur elle depuis des années, tous les quartiers participent à la grande fête annuelle. Chaque comité a élaboré son projet et son thème afin d’obtenir un bon financement. Certains peuvent atteindre des sommes dépassant les 50 000 euros s’ils réussissent à convaincre les sponsors publics ou privés. La puja religieuse de Durga a pris cette ampleur il y a une centaine d’années sous l’impulsion d’une douzaine d’amis qui avaient aussi, dit-on, l’idée de favoriser par une grande fête populaire des regroupements que l’occupant anglais interdisait…

Ces sanctuaires temporaires, ces architectures de bambou au cœur desquelles trône la déesse, immergent les festivaliers dans des univers magiques sur fond de musique traditionnelle rythmée de conques et de percussions. Ils incarnent des thématiques ancrées dans la tradition hindoue mais aussi de grands problèmes de société, délivrant leurs messages parfois audacieux afin de sensibiliser aux liens entre l’homme et la nature, à la lutte contre la pollution et ses déchets toxiques, à la tolérance, à la sauvegarde de la planète, au refus du travail des enfants, à une vie décente pour tous.

Dès que la nuit tombe et jusqu’à l’aube les sanctuaires s’animent

Le long des rues les barrières de bambou canalisent sur des kilomètres les foules qui se pressent la nuit tombée jusqu’à 5 heures du matin pour déambuler dans la beauté de ces sanctuaires illuminés par des milliers de lampes et projecteurs. Il y en aurait plus de 2 000 ! Impossible de les voir tous, il faut faire des choix et ce n’est pas facile. Quant aux visiteurs étrangers, un guide chevronné s’impose pour les aider à trouver les plus beaux pandals. Il leur est aussi recommandé de se reposer le matin afin de profiter au mieux de ces jours aux horaires inversés. Même si le festival est d’origine hindoue, des individus de toutes castes et religions, tous les groupes sociaux y participent car Durga Puja célèbre l’harmonie au sein de la communauté. Elle est aussi l’occasion de réjouissances familiales autour de repas partagés et de délices sucrés.

Dernier jour : Durga repart vers l’Himalaya

La journée commence tôt par la visite des femmes au temple vêtues des plus beaux saris rouges. Moment à la fois sacré et joyeux où elles appliquent en riant sur leur visage et celui de la déesse le kukum, une poudre vermillon, en se souhaitent bonheur conjugal et fertilité. Car ne l’oublions pas, Durga est le symbole de la puissance féminine… Sur les bords de la rivière chacun vient faire ses ablutions matinales et ses offrandes de fleurs. Puis, dans l’après-midi commence la lente procession de Visarjan, moment solennel où les centaines de Durga si longuement façonnées sont menées vers la rivière Hooghly pour y être immergées. C’est le retour aux sources de la déesse adulée terminant son cycle de vie jusqu’à l’année prochaine aux cris et pleurs des fidèles qui lui disent au revoir…

Si autrefois les effigies étaient abandonnées au fil de l’eau on se contente désormais de les immerger afin d’éviter toute pollution. Depuis une dizaine d’années, Jaydeep Mukerjee, un passionné, a créé son jury pour décerner des trophées aux pandals les plus étonnants selon certains critères : Création originale, Beauté de l’idole, Intensité spirituelle, Portée du message, Plaisir visuel. Il favorise en même temps la reconnaissance mondiale dece festival unique vu l’importance de sa valeur culturelle. Pour cette raison Durga Mela est en cours d’inscription au Patrimoine mondial par l’Unesco.

Participer au festival de Durga Puja ?

  • Le festival a lieu vers la fin octobre mais les dates changent un peu chaque année. Il faut se renseigner.
  • Meghdutam Travels est la meilleure agence sur Calcutta si vous voulez voir les plus beaux pandals avec une assistance professionnelle, personnelle ou en petit groupe, un guide qui connaît le sujet, une voiture depuis l’hôtel et un accès VIP pour éviter les queues qui peuvent être longues.

Texte et photos Catherine Gary