Azeb Rufin, l’Ethiopie au cœur et une vraie passion pour les auteurs
Entre Azeb, agent littéraire, et son mari, l’écrivain Jean-Christophe Rufin, la complicité est inscrite depuis longtemps dans la durée. Elle l’accompagne au quotidien tout en menant discrètement sa vie de femme active et volontaire.
La porte s’ouvre sur un un large sourire qui vous met tout de suite à l’aise. Dans le salon, un canapé face à la cheminée, quelques tableaux sur les murs blancs, des sculptures africaines et, sur la table basse encombrée de livres et de magazines, deux grandes croix orthodoxes en cuivre doré… La lointaine Ethiopie est présente au cœur du foyer. « C’est le pays de plus ancienne tradition chrétienne d’Afrique. Son histoire remonte aux temps bibliques,1000 ans avant J-C. ». Azeb évoque la Reine de Saba qui se rendit jadis en Israël pour consulter le roi Salomon et être instruite de sa sagesse. « Je porte le troisième prénom de cette femme libre mythique qui demeure malgré le temps un exemple pour son peuple. Elle revint dans son pays et lui fit don d’un fils, Ménélik, lointain ancêtre de l’empereur Aïlé Sélassié, renversé en 1974 par le régime communiste ».
Azeb garde le contact avec l’Ethiopie, s’occupe d’une association en faveur des orphelins, suit l’évolution de la condition des femmes en milieu rural. Elles souffrent encore trop souvent d’exploitation, de mariages précoces, de mutilations ou de viols. La misère est à l’origine de ces maltraitances et certaines traditions sont tenaces. « Les jeunes filles représentent une charge dans les familles pauvres et leur mariage avec un homme plus âgé, parfois même un vieillard, arrange les choses »… Pour les citadines, c’est différent. Dans les années 80, le régime communiste les incitait déjà à la distance avec les contraintes familiales ancestrales. Depuis, elles ont appris à se défendre en s’ouvrant à la modernité par les médias internationaux. « Ce sont ces femmes qui doivent être les porte-parole localement de celles qui souffrent »… En tant que mère de deux adolescentes élevées en France, Azeb est soucieuse de transmettre les valeurs essentielles auxquelles elle adhère. Respect d’elles mêmes et des autres, sens du travail et de la responsabilité, dignité authentique, celle qui vient de l’intérieur.
Son histoire avec la France commence en 1985, année de grande famine dans le pays. Etudiante en droit à Addis-Abeba, elle mène alors une vie assez insouciante et privilégiée car son père, ancien gouverneur au temps de l’empereur Aïlé Sélassié avant la confiscation des terres par le régime communiste leur a transmis le goût des études. Elle rencontre Jean-Christophe Rufin, médecin humanitaire, responsable d’Action contre le Faim. Sa vie change alors à la suite de cet intrépide hyperactif, aventurier à ses heures, futur ambassadeur et académicien, adepte de la marche et de plus, écrivain ! Azeb restera à ses côtés sans jamais se laisser griser par les honneurs. « Notre vie n’a jamais été mondaine. Jean-Christophe aime passer des mois entiers en solitaire dans notre chalet de haute montagne, à Saint-Nicolas-de-Véroce dans le massif du Mont-Blanc. J’y suis moi-même très souvent mais nos filles étudiant à Paris, je suis présente aussi à leurs côtés ».
Parmi leurs amis artistes et écrivains, beaucoup sont issus de la francophonie. « Ce fut une joie quand notre ami le sculpteur sénégalais Ousmane Sow a revêtu l’habit vert. C’est lui qui avait réalisé le pommeau de l’épée de mon mari quand il été admis sous a Coupole… ». Même enthousiasme pour la réception à l’Académie française de Dany Laferrière et Amin Maalouf. Azeb cite dans la foulée les auteurs francophones qu’elle affectionne particulièrement : Franketienne, un écrivain haïtien dont l’œuvre témoigne de l’enfer vécu sur l’île durant l’époque Duvalier mais aussi de l’histoire contemporaine, Mariama Ba une importante figure féministe sénégalaise, Alain Mabanckou, lauréat en 2006 du prix Renaudot pour son roman Mémoires de porc-épic, la Sénégalaise Mariama Bâ, féministe attachée à la défense de l’éducation et des droits des femmes africaines, Denise Bombardier, journaliste et romancière canadienne au franc parler. Et bien sûr, François Cheng, écrivain et poète franco-chinois… Cet amour des lettres l’a décidée, encouragée par son mari, à créer sa propre agence littéraire, Ras Dashen. Formée au droit, elle défend les contrats des auteurs face aux éditeurs. « Ils sont en général mal à l’aise pour parler affaires et ne savent pas bien négocier leurs droits et tout ce qui touche à la mise en ligne de leurs œuvres, aux adaptations audiovisuelles ou cinématographiques, aux traductions. Ils privilégient le lien amical avec leur maison d’édition et ne pensent pas assez à leurs intérêts. Nous leur permettons de séparer l’affectif du business en pourvoyant à tout ce qui est matériel dans ces accords éditoriaux ». Azeb s’occupe ainsi des livres de son mari ainsi que de Sylvain Tesson, autre grand ami, de Nicolas Fox Weber, de Franketienne, Alain Mabanckou Cynthia Fleury, Christophe Ono-Dit-Biot… tous de près ou de loin liés à la francophonie. Une priorité dans ses choix, peu nombreux pour le moment mais sélectionnés avec soin et passion.
Texte Catherine Gary, photos DR