Comment raconter sur scène l’esclavage, la résistance, le combat pour les droits civiques, et tout cela en riant, chantant, dansant ? C’est ce que raconte l’excellent spectacle Black Legends, le musical, grande fresque musicale créée et mise en scène par Valery Rodriguez, qui en 36 tableaux retrace un siècle de la musique afro-américaine, du Cotton Club à l’élection de Barack Obama. Pendant une heure trente, tous les grands noms de la musique noire américaine défilent sur scène, les costumes, les décors, le son accompagnent toutes les époques pour le plus grand bonheur des spectateurs présents dans la salle, qui accompagnent pour la plupart les artistes sur scène en scandant des bravos où en chantant avec eux les répertoires les plus connus. Incontestablement le meilleur spectacle de l’année. 

A L’AFFICHE DEPUIS LE 29 SEPTEMBRE À PARIS, BLACK LEGENDS, LE MUSICAL, REND HOMMAGE À LA MUSIQUE NOIRE AMÉRICAINE DU 20e SIÈCLE, À BOBINO JUSQU’AU 28 MARS 2023. SUR SCÈNE, 20 CHANTEURS, DANSEURS ET MUSICIENS
REPRENNENT LES PLUS GRANDS SUCCÈS QUI ONT MARQUÉ LES MÉMOIRES. 

par Bérangère Bourgeois

Du code noir au Cotton Club

Le spectacle Black Legends, le musical s’ouvre sur une scène qui rappelle le tristement célèbre Code noir qui codifiait la condition des esclaves. La salle retient son souffle, la silhouette d’un homme noir se déploie à partir du sol, se lève, retombe, tandis qu’un homme blanc ricane et l’humilie. La scène suivante montre le même homme noir qui devient l’un des danseurs du Cotton Club, ouvert à Harlem en 1920. Valery Rodriguez réussi son pari en choisissant de raconter l’Histoire, le social et la musique : « Il fallait trouver un axe de théâtre musical, et à chaque tableau son époque. On évoque la ségrégation, le Ku Klux Klan… 

Tout est dit, mais avec un filtre symbolique qui est celui de la comédie musicale. Chaque scène en effet retrace un moment important de la vie des Afro- Américains et de leur lutte pour leur émancipation. En chanson et en musique, les artistes racontent avec ferveur la grande histoire de la musique afro-américaine à travers trente-six tableaux. Combien de spectateurs savent que les sources du hip-hop remontent depuis les chants des esclaves des plantations de coton ? Car observer l’évolution de ces artistes sur scène, c’est prendre conscience du parcours de libération des Afro-Américains. 

Des artistes tous engagés contre le racisme

C’est sur la comédie musicale Le Roi Lion, que Valery Rodriguez rencontre ces artistes afro-américains, martiniquais, guadeloupéens, sud-africains, et c’est assez spontanément qu’il leur a proposé de créer dans un premier temps ce qu’il appelle une première mouture, qui plaît. « Après plusieurs versions, j’ai voulu aller plus loin dans la démarche artistique et raconter l’histoire de la culture afro-américaine. Car je hais les injustices raciales, et, plutôt que de l’exprimer par de la colère, j’ai transformé cette haine de la haine par de l’amour. 

Je suis un homme blanc et je me suis bien sûr posé la question de la légitimité ». Les comédiens, pour la plupart descendants d’esclaves, ont tous accepté de servir ce propos, avec une énergie incroyable, le racisme ordinaire touchant tous les artistes. « C’est par les paroles, la musique et les gestuelles que le récit se construit » poursuit Valery Rodriguez, « si toutes les chansons sont très connues, il ne s’agit pas de mettre en scène une succession de tubes, mais de les sortir de leur cadre pop, pour servir un fil narratif historique très riche en partition émotionnelle ».

L’Amérique qui se parle, se rejette ou se tend la main

En 1939, Strange Fruit de Billie Holiday, dénonce la dure réalité des Noirs dans les Etats sudistes. Sur la scène de Bobino, on ressent dans les trémolos de la chanteuse ce soir-là toute l’émotion. Ce fruit étrange, c’est une personne noire qui a été lynchée, puis pendue à un arbre dans le sud des Etats-Unis. Le texte poignant est signé par un jeune professeur communiste, Abel Meeropol. Les années soixante sont marquées par l’assassinat de Malcom X et Martin Luther King, et l’Amérique est plongée dans la guerre du Vietnam. Le Funk, créé dans les années 1950, émerge dans un contexte de tensions raciales et apparaît alors comme un cri de contestation et de libération et James Brown avec I’m black and I’m proud crie son identité noire tandis que Public Enemy le revendique férocement avec son rap militant. Les années 1970 sont celles des Block parties, organisés dans les rues des ghettos noirs new-yorkais avec un D.J. (Disc-Jockey) aux platines et un M.C. (Maître de Cérémonie) au micro : c’est la naissance du rap. Les paillettes et le disco ne sont pas oubliés, ni les queer et les trans, et on voit même apparaître le sosie de 2Pac sur California Love. 

Les divas noires sont toutes représentées, de Whitney Houston à Beyoncé en passant par Mary J. Blige. On est tous Crazy in love en 2008, à l’élection du premier président afro-américain, Barack Obama. Un nouveau grand souffle d’espoir, hélas balayé quelques années plus tard par le règne de Donald Trump. Mais il reste une étape importante dans la reconnaissance sociétale de la population noire américaine, dont le patrimoine artistique nourrit depuis toujours la pop culture. Ses hymnes inoubliables ont accompagné un bon nombre d’activistes, célèbres et anonymes, et résonnent dans Black Legends. 

Crédit photos: Nicolas Freiss / Agence Hans Lucas