Les châteaux forts du Togo
L’Unesco a classé les fortins défensifs des Tamberma au patrimoine mondial. Remontons donc les siècles et partons à la découverte d’une région reculée de l’Afrique.
Lomé, la capitale du Togo, manie avec maestria les contrastes entre traditions et monde contemporain. À côté des banques et des start-up, se dresse son marché aux fétiches, le plus grand d’Afrique, une vraie caverne d’Ali Baba à ciel ouvert. Crânes de buffles et de fauves, cornes d’antilope, crocodiles et reptiles séchés, statuettes cloutées sur les étals tenus par des femmes en boubou… La magie vaudou vaut mieux ici que tous les remèdes des pharmacies et chamanes et guérisseurs viennent s’y approvisionner. Une halte qui tient lieu de prélude pertinent à un périple dans le nord du pays pétri de traditions. Remontons donc les siècles et partons à la découverte d’étonnants fortins défensifs.
Premier exemple de ces constructions dans la région de Kara : les cases rondes aux toits coniques reliées entre elles par des murets protègent les familles. Puis vous voici en pays tamberma. Un autre monde, un tout autre temps ! Il y a, apposée à l’entrée du village, la plaque discrète de l’Unesco attestant que les fortins locaux sont classés au Patrimoine mondial.
«Les maçons qui façonnent la terre de leur seul regard»
Les Tamberma partagent avec les Bésorbé du Bénin voisin des coutumes et un habitat se jouant des frontières dans la mesure où ils sont des sous-groupes d’un même ensemble ethnique appelé les Somba. Dans ces paysages secs en été, verdoyants au retour des pluies, se dressent de petits châteaux forts, chefs-d’œuvre d’architecture hauts de six à sept mètres, avec à l’intérieur de quoi soutenir un siège ! Ils sont dispersés dans la brousse au pied des grands arbres. Les Tamberma construisent leur habitat en pisé, un mélange d’argile, de paille et de pierres, puis le crépissent à la main avec de la glaise en lui donnant des lignes sensuelles. « Des maçons qui façonnent la terre de leur seul regard », c’est ainsi que se prénomment ces étonnants bâtisseurs aux mains nues. Le chef du village accueille les rares visiteurs, chapeauté de sa coiffe de raphia et de coquillages, signe de son autorité. Les femmes, elles, portent une autre coiffe surmontée de deux cornes de gazelle et qu’elles arborent dès lors qu’elles ont été initiées dans le bois sacré.
Des coutumes datant du Néolithique
Ces fortins à tourelles, qu’on appelle takienta ou tata, ne comportent qu’une seule entrée, très basse, ouverte à l’Ouest pour garder la famille des esprits mauvais. On y pénètre à reculons, un réflexe ancestral pour ne pas se laisser surprendre… Il s’agit en effet à l’origine d’un habitat guerrier qui permettait de se protéger contre les razzias menées par d’autres tribus et, plus tard aussi contre les colonisateurs esclavagistes qui écumaient les villages. De l’histoire ancienne heureusement.
L’Unesco, elle, préfère parler d’un type de bâtiment exceptionnel : « cet habitat familial de base dans lequel tout est à la fois technique, utilitaire et symbolique, est unique en son genre… le résultat d’un génie créateur. » Les villages sont dispersés en petits hameaux habités chacun par une famille. Au rez-de-chaussée, une meule et un espace pour le petit bétail. L’accès à l’étage se fait par une échelle taillée dans un tronc d’arbre où sont creusées des marches. C’est là que se trouve le précieux grenier à céréales sphérique haut de trois mètres et couvert d’une paillote conique avec à l’intérieur le mil, les arachides et le fonio séparés par des cloisons. Un bassin recueille l’eau de pluie à côté de la chambre du chef de famille et de son épouse du moment. L’autonomie alimentaire est donc assurée en cas d’attaque. L’aération est garantie par divers orifices creusés dans les parois. En somme, les fortins demeurent comme par le passé un refuge défensif pour les hommes et pour les animaux. Des traditions inchangées depuis le Néolithique.
Les Tamberma sont des chasseurs-cueilleurs et il n’est pas rare de les rencontrer à demi-nus armés de leur carquois et leurs flèches. Ici, pas de télévision, pas d’électricité et l’eau potable vient de puits parfois à l’écart. Devant leurs petits châteaux, un autel des ancêtres est dressé afin que le chamane sacrifie un poulet permettant le succès de leurs requêtes. Au Bénin cependant, ces architectures de terre sèche, moins entretenues après les pluies, ont tendance à disparaître des villages ; elles sont remplacées par des cases rectangulaires coiffées de tôle ondulée. Et c’est dommage car elles mériteraient, elles aussi, d’être classées au patrimoine mondial de l’Humanité.
Texte et photos Catherine Gary