La souffrance est contagieuse, surtout quand elle est provoquée par une pandémie. L’arbitraire et l’injustice intrinsèques de la mort causée par le Covid-19 à travers le monde est encore plus douloureux lorsque l’incompétence des gouvernements et les mauvais comportements des victimes sont des facteurs importants dans le drame. C’est malheureusement la situation observée en Afrique depuis deux ans, depuis que le virus du Covid-19 a été découvert en Chine et que ses variants ont été ensuite remarqués dans diverses autres régions du monde.

Pour une fois dans l’histoire de la médecine, tous les Etats du monde ont travaillé d’arrache-pied avec les grandes firmes pharmaceutiques et des institutions prestigieuses de savoir et de recherche universitaire, pour développer un vaccin en moins d’un an. Certes, le vaccin du Covid-19 n’a pas le même niveau d’efficacité que d’autres plus anciens. Mais il protège contre une maladie mortelle, et réduit considérablement le risque de complications pour ceux qui développent cette maladie, surtout lorsque les victimes souffrent par ailleurs de pathologies graves comme le diabète, le cancer, l’hypertension chronique, et diverses maladies qui affaiblissent le système immunitaire.

Pourtant, dès que ces vaccins ont été produits, les pays industrialisés se les sont appropriés, laissant les pays en développement à leur sort. La Chine a montré un excellent exemple de coopération Sud- Sud, apportant son appui à l’Afrique. Mais cela n’a pas suffi : en ce début de février, l’Afrique demeure le parent pauvre de la campagne mondiale de vaccination, avec seulement 10 % de la population entièrement vaccinée. Vingt-six des cinquante-quatre pays africains affichent un taux de vaccination inférieur à 10 % et seulement 7 pays avaient atteint le chiffre de 50 % : le Maroc, la Tunisie, le Cap-Vert, le Botswana, le Rwanda, les Seychelles et Maurice (ces deux derniers au-dessus de 70 %).

Le taux de vaccination doit être multiplié par six pour que le continent atteigne l’objectif de 70 % de couverture vaccinale fixé pour la fin du premier semestre de cette année. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS), le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (IFRC) et leurs partenaires, lancent une nouvelle initiative qui vise à éliminer les obstacles empêchant d’atteindre cet objectif.

La quantité de vaccins reçus sur le continent et le rythme des vaccinations ont augmenté ces derniers mois mais le chemin à parcourir pour atteindre les objectifs est encore très long. Actuellement, six millions de personnes sont vaccinées en moyenne chaque semaine en Afrique. Il faut passer à 36 millions de personnes vaccinées par semaine pour atteindre l’objectif de 70 % de couverture vaccinale. Le continent a reçu plus de 587 millions de doses de vaccins contre le Covid-19, dont 58 % via le mécanisme COVAX (programme international de fourniture solidaire de vaccins à 145 pays pauvres) ; 36 % dans le cadre d’accords bilatéraux ; et 6 % par l’intermédiaire du Fonds africain pour l’acquisition des vaccins (AVAT) créé par l’Union africaine. En janvier 2022, un total de 96 millions de doses de vaccins ont été expédiées vers l’Afrique, soit plus du double des doses de vaccins que ce continent a reçues il y a six mois. L’augmentation des livraisons a atténué les pénuries et a attiré l’attention sur la nécessité pour les pays d’accélérer le rythme du déploiement des vaccins. 

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« Le monde a enfin entendu nos appels, s’est exclamée la Botswanaise Matshidiso Moeti, médecin et directrice régionale de l’OMS pour l’Afrique. L’Afrique a désormais accès aux vaccins qu’elle réclamait depuis trop longtemps. C’est un signe d’espoir pour cette année. Cependant, un réseau d’approvisionnement fiable doit aller de pair avec un financement opérationnel afin que les doses reçues quittent les dépôts où elles sont stockées pour être administrées aux populations. L’OMS et ses partenaires collaborent avec les pays pour régler de toute urgence les problèmes opérationnels qui se posent, notamment en aidant les travailleurs de la santé à accélérer la livraison des vaccins, à sauver des vies et à lutter contre cette pandémie. »

Mais ce dont Matshidiso Moeti a le plus de mal à parler, c’est de la réticence très forte en Afrique contre les vaccins—y compris de la part des femmes africaines dont la santé est essentielle pour la survie et le bon développement de la société. Au-delà de l’égoïsme vaccinal des pays riches et de la faiblesse des marges de manoeuvres budgétaires et des moyens financiers dont disposent les Etats africains pour combattre la pandémie, il y a eu également d’énormes problèmes logistiques à travers le continent et une grosse vague de scepticisme sur ce que ces vaccins venus d’Occident pouvaient cacher…

Les lenteurs logistiques sont bien documentées. L’OMS et ses partenaires ont envoyé des experts techniques dans 20 pays en proie à des difficultés importantes avec le déploiement des vaccins, afin de former des équipes d’appui spéciales pendant trois à six mois et, dans certains cas, sur une période pouvant atteindre un an. Cinquante experts ont déjà été déployés. Ils travaillent sous la direction des ministères de la Santé pour renforcer la coordination entre les partenaires, la planification logistique et financière, y compris la micro-planification, la surveillance des manifestations
post-vaccinales indésirables, ainsi que la gestion des données sur l’adoption de la vaccination et les stocks de vaccins.

« C’est un signe d’espoir pour cette année. Cependant, un réseau d’approvisionnement fiable doit aller de pair avec un financement opérationnel afin que les doses reçues quittent les dépôts où elles sont stockées pour être administrées aux populations. » 

Matshidiso Moeti, médecin et directrice régionale de l’OMS pour l’Afrique
©Hakan Nural

En revanche, les réticences au sujet de l’efficacité et de l’innocuité des vaccins contre le Covid-19 sont plus difficiles à combattre, surtout quand de nombreuses femmes croient à des théories du complot. Un sondage récent mené dans plusieurs pays africains par Afrobarometer montre que le mal est profond. D’après Aminatou Seydou, qui a travaillé sur ce sondage, “les enquêtes d’Afrobarometer réalisées dans cinq pays d’Afrique de l’Ouest (Bénin, Liberia, Niger, Sénégal, et Togo) auprès d’échantillons représentatifs à l’échelle nationale, présentent des résultats peu optimistes : en moyenne, seules quatre sur dix personnes seraient susceptibles de se faire vacciner, dont seulement un sur trois Libériens et un sur cinq Sénégalais. La plupart affirment ne pas faire confiance à leur gouvernement pour garantir l’innocuité des vaccins.” Ces conclusions sont inquiétantes. Car même si l’Afrique a été relativement épargnée par la mortalité́ massive due au Covid-19 observée dans d’autres régions, elle aurait pu épargner de nombreuses vies précieuses perdues à cause de la pandémie. A la mi-janvier, le total cumulé de cas (malades) de Covid-19 enregistrés en Afrique depuis mars 2020 était de 10,2 millions pour une population de 1,2 milliard. A la même date, le nombre total de décès officiellement enregistrés se montait à 160 000 au total, nombre largement inférieur à celui des autres continents. N’empêche : un mort, c’est toujours un mort de trop. Les femmes africaines doivent prendre le leadership sur cette affaire et éduquer leurs sociétés. Il n’est pas nécessaire de s’auto-infliger de la souffrance. •

Par Suzanne Pearl 
Photo couverture: ©via unsplash