Qu’est-ce que la beauté ? Cette question banale a préoccupé les écrivains et les philosophes depuis la nuit des temps. “La beauté est dans les yeux de celui qui regarde”, disait l’Irlandais Oscar Wilde. “La beauté n’est que la promesse du bonheur”, rétorquait le Français Stendhal. Sans répondre directement à la question, le Grec Démocrite a identifié l’intelligence comme condition à une vraie beauté : « La beauté du corps est un avantage digne des animaux si l’intelligence ne la relève », affirmait-il. Beyoncé incarne toutes ces définitions de la beauté. L’artiste noire américaine qui s’est imposée comme une des plus importantes personnalités de l’histoire culturelle de notre époque, a prouvé mille fois qu’elle maîtrisait parfaitement l’art d’être belle et intelligente. 

Tenez : ce 1er février, premier jour du Nouvel An chinois (qui est aussi le Nouvel An coréen, vietnamien, singapourien, etc.), Beyoncé a consacré la page d’ouverture de son site web à l’expression en mandarin de ses voeux de bonheur aux quelque 1,5 milliard de personnes sur Terre célébrant le premier jour du calendrier lunaire. Cette décision avait certes des motivations commerciales. Mais Beyoncé Knowles (connue uniquement par son prénom), n’en est plus à rechercher la fortune et le bien-être matériel : elle les a trouvés depuis longtemps. Depuis bientôt vingt ans, elle travaille à célébrer les grandes valeurs humaines de fraternité et de respect qui seules donnent accès à l’éternité. C’est pourquoi cette grande artiste apparaît de plus en plus comme une militante passionnée et créative des droits humains. Déjà, «Run the World (Girls)», une de ses premières chansons-fétiches de son quatrième album solo (2011), était un hymne féministe.

Son refrain :« Who run the world ? Girls ! » « Qui dirige le monde ? Les filles ! » C’était un hommage aux femmes, « assez fortes pour gagner des millions, faire des enfants, et se remettre au travail », avait confirmé Beyoncé, la reine du R&B, que ses fans et les médias appellent affectueusement Queen B. « C’est un de ses morceaux les plus importants parce qu’il vieillit bien », affirme Olivier Cachin, journaliste, animateur, écrivain spécialisé rap et hip hop. « Et puis aussi parce qu’il résume un peu Beyoncé alors qu’elle est à la fois la chanteuse et danseuse hyper sexy et en même temps la femme de pouvoir qui domine le monde, comme le dit la chanson. » Le clip de la chanson était encore plus explicite. On y voyait Beyoncé en femme noire drapée de toute sa beauté nue (comme l’aurait dit Léopold Sédar Senghor), en talons hauts, perchée sur le dos d’un cheval, ou alors sur le toit d’une voiture, ou encore tenant deux hyènes en laisse. Accompagnée de très nombreuses femmes dont l’habillement est aussi sexy que le sien, en jarretelles et bottes de cuir, elle exécute une chorégraphie à réveiller les morts, face à une armée d’hommes apeurés et cachés derrière leurs boucliers…

Dans une tribune intitulée « L’égalité des sexes est un mythe » et publiée en janvier 2014 sur le site de l’organisation non-gouvernementale de Maria Shriver-Kennedy (nièce de l’ancien président John F. Kennedy et ex-épouse de l’acteur hollywoodien Arnold Schwarzenegger), Beyoncé dénonçait déjà le sexisme dont les femmes sont victimes au travail. « Il faut stopper le mythe autour de l’égalité des sexes, écrivait la chanteuse. Ce n’est pas encore une réalité. Aujourd’hui, les femmes représentent la moitié de la masse salariale aux États-Unis, mais l’Américaine moyenne ne gagne que 77 % du salaire moyen d’un homme. Tant que les femmes et les hommes n’auront pas admis que c’est inacceptable, rien ne changera…

Il faut que les hommes demandent à ce que leurs femmes, leurs filles, leurs mères et leurs soeurs gagnent plus, en fonction de leur qualification et non de leur sexe. L’égalité ne sera atteinte que lorsque les hommes et les femmes se verront accorder un salaire égal et un respect égal. ». Et de conclure : « Nous devons apprendre à nos garçons les règles de l’égalité et du respect, pour qu’en grandissant, l’égalité des sexes devienne une notion naturelle. » En février 2016, la grande artiste avait affiché plus clairement encore son engagement militant. C’était à la mi-temps du Super Bowl, la grande finale du Championnat de football américain (sport majeur en Amérique du Nord) où elle avait reçu un gros cachet pour une performance. Cette rencontre est l’un des événements sportifs les plus suivis au monde et le plus regardé à la télévision aux États-Unis. Quelques heures seulement avant le match, Beyoncé avait publié en ligne comme une surprise son nouveau single, appelé « Formation », et un clip d’accompagnement. 

Ce fut l’effet d’une bombe culturelle et politique car elle revendiquait fièrement dans cette nouvelle oeuvre son ralliement au nouveau mouvement des droits des Noirs baptisé Black Lives Matter. Les paroles de « Formation » célébraient la culture et l’histoire afro-américaines, proclamait son appartenance à cette généalogie noire, ainsi que celle de sa fille, Blue Ivy. Elle y affirmait, entre autres thèmes dérangeants, la beauté de ses cheveux et de son nez de « Négresse » : « My daddy Alabama, Momma Louisiana / You mix that negro with that creole make a Texas bamma / I like my baby hair, with baby hair and afros / I like my negro nose with Jackson Five nostrils» Traduction : « Mon père Alabama, maman la Louisiane / Tu mélanges ce Noir avec ce Créole pour faire un Texas bamma / J’aime les cheveux de mon bébé et les afros / J’aime mon nez à la Jackson Five ».

Le clip de la chanson était encore plus explicite. L’on y voyait des images des violences policières dont est régulièrement victime la communauté afro-américaine aux États-Unis, et des séquences toutes plus parlantes les unes que les autres : une voiture de police submergée sur laquelle Beyoncé se dresse, une photo de Martin Luther King en première page d’un journal, un jeune garçon noir qui danse devant un large groupe de policiers ou un graffiti disant : « Stop shooting us » («Arrêtez de nous tirer dessus»). Lors de ce fameux spectacle à la mi-temps du Super Bowl, Beyoncé avait enfoncé le clou. Elle avait émaillé sa prestation de références au Black Panther Party, mouvement révolutionnaire formé en Californie en 1966 qui s’est battu pour les droits de la communauté afro-américaine aux États-Unis.

Tout avait été méticuleusement pensé pour que ce show soit symbolique et historique : ses danseuses coiffées à la mode afro étaient habillées de combinaisons de cuir ; elles portaient des Rangers de combattantes de guérilla, et arboraient le célèbre «black beret» porté par les membres du Black Panther Party. La chorégraphie elle-même leur permettait de dessiner par leur seule présence un «X» géant sur le terrain—ceci en référence à Malcolm X, figure historique de la défense des droits afro-américains exécuté le 21 février 1965 à New York alors qu’il commençait un discours. Et à la fin, il y avait le poing levé au ciel, signe de ralliement et de protestation du Black Power notamment rendu célèbre par les athlètes Tommie Smith et John Carlos lors des Jeux olympiques de Mexico en 1968. L’engagement militant de la chanteuse a pris une autre dimension lors de son spectacle historique en avril 2018 au célèbre festival Coachella. C’était d’ailleurs la première fois, en dix-neuf ans de programmation, qu’une femme noire apparaissait comme la tête d’affiche de ce festival. Créé en 1999, Coachella est l’événement musical majeur au monde. Il rassemble chaque année dans le désert californien des dizaines de milliers de personnes qui paient des centaines de dollars pour y passer deux week-ends coupées du monde. Le show de Beyoncé avait duré près de deux heures et avait profondément marqué les spectateurs. Elle y avait inclus des références à la lutte afro-américaine, ceci dans la continuité des chansons de son album «Lemonade».

Coiffée comme Néfertiti et portant une cape à paillettes, l’artiste s’était quasiment déguisée en déesse égyptienne et avait subjugué les festivaliers avec sa chorégraphie et sa mise en scène. Elle avait ensuite troqué son costume de déesse pour un sweat jaune et noir, affichant un écusson d’université que portaient également les quelque 100 danseurs et musiciens qui l’accompagnaient sur scène. Certains commentateurs s’étaient empressés de voir dans les couleurs de cette tenue celles de l’abeille, insecte souvent présent dans l’univers visuel de la star depuis des années. Erreur : Beyoncé n’avait rien laissé au hasard. C’était plutôt un hommage appuyé à la Alpha Phi Alpha, la première fraternité interuniversitaire créée par des Afro-Américains en 1906. D’ailleurs pour imaginer leur écusson or et noir, les fondateurs des ΑΦΑ avaient eux aussi emprunté des icônes à l’Égypte ancienne. Au-delà de cette fraternité peu connue, l’artiste souhaitait saluer publiquement les HBCUs (Historically Black Colleges and Universities), ces universités traditionnellement noires créées après la guerre de Sécession dans les anciens États et territoires esclavagistes des États-Unis à l’époque où les Afro-Américains étaient exclus de l’enseignement supérieur. 

Ce fut l’effet d’une bombe culturelle et politique car elle revendiquait fièrement dans cette nouvelle oeuvre son ralliement au nouveau mouvement des droits des Noirs baptisé Black Lives Matter. 

Aujourd’hui, il existe encore 107 établissements, dont notamment Howard University (Washington DC), Morehouse College et Spelman College (Atlanta). Ce n’était d’ailleurs pas un hasard si lors du show à Coachella, l’orchestre incluait des étudiants des universités de Floride, du Tennessee, d’Alabama, de Georgie ou encore de Caroline du Nord. Et pour qu’il n’y ait pas l’ombre d’un doute sur son engagement militant, Beyoncé avait aussi fait résonner dans les haut-parleurs de Coachella une phrase de Malcolm X, militant des droits de l’Homme qui a influencé la fondation du mouvement politique révolutionnaire afro-américain : « La personne la moins respectée en Amérique est la femme noire…

La personne la moins protégée en Amérique est la femme noire.» Elle avait fait la même chose dans son album « Lemonade ». Commentant cette incroyable performance, Jon Caramanica, le redoutable critique culturel du New York Times, avait écrit : « Il n’y aura pas de performance aussi significative, captivante, déterminée et radicale par un artiste américain cette année, ou dans les années à venir, que celle de Beyoncé à Coachella samedi soir». Artiste de génie, Beyoncé est également une mère de famille dévouée dont toutes les femmes américaines recherchent la philosophie de vie gagnante et les secrets d’une vie conjugale qui paraît résister à toutes les épreuves. Son époux Jay-Z est le premier artiste de hip-hop à être devenu milliardaire. C’est aussi un homme d’affaires surdoué qui transforme en or tout ce qu’il touche. Ses albums se sont vendus à des dizaines de millions d’exemplaires. Ses lignes et magasins de vêtements font un tabac. Il est producteur de très nombreux grands musiciens, qu’il est capable de convertir instantanément en célébrités mondiales. C’est donc un artiste dont la carrière fut longtemps bien plus importante que celle de sa femme. Leur mariage en avril 2008 fut clandestin. 

Beyoncé et Jay-Z s’étaient pourtant rencontrés à la fin des années 1990 et avaient travaillé ensemble, comme amis. Devenus tous les deux des icônes et des amis de personnalités célèbres (dont Michelle et Barack Obama et la journaliste Oprah Winfrey), les deux stars ont décidé de former une famille ensemble. Ils y sont parvenus et ont préservé leur vie de famille, non sans mal. En août 2014, alors que la presse à scandale diffuse des rumeurs d’infidélité de Jay-Z et de séparation de leur couple, son épouse poste une photo d’elle sur Instagram où elle apparaît vêtue uniquement d’un tee-shirt à message : le patronyme Carter et le chiffre 4. Carter est le vrai nom de son mari. Et le chiffre 4 est hautement symbolique pour la star : elle est née un 4 septembre, son mari le 4 décembre et ils se sont dit oui un 4 avril. De quoi faire taire toutes les rumeurs de rupture ! 

N’empêche que plus tard, Beyoncé publie l’album « Lemonade » dans lequel elle évoque des difficultés de couple. Et dans le trailer d’une vidéo promotionnelle annonçant la diffusion de l’un de leurs concerts sur la chaîne HBO, elle y chante à l’attention de Jay-Z Bang Bang (My Baby Shot Me Down). C’est l’histoire d’une femme abîmée émotionnellement parce que son partenaire l’a abandonnée à l’autel… Le rappeur a lui-même fini par parler de ses problèmes de couple dans son album intitulé mystérieusement 4:44 et paru en juin 2017. Puis, cinq mois plus tard, il y a eu le grand coup de théâtre : l’interview au grand quotidien américain The New York Times, interview dans laquelle il avait avoué avoir au moins une fois été infidèle à son épouse. Leur mariage n’a tenu que grâce à la thérapie, et au désir de continuer à construire leur relation. Évoquant les « cicatrices » qu’il a gardées du passé, Jay-Z confiait : « Vous devez survivre. Donc vous êtes en mode survie, et quand vous êtes en mode survie, qu’est-ce qui passe ? Vous faites taire toutes vos émotions. Donc, même avec les femmes, vous allez agir ainsi, et vous n’allez plus pouvoir communiquer…. Dans mon cas, c’est sérieux. Et tout cela a mené à l’infidélité », a-t-il expliqué. « La plupart des gens partent, le taux de divorce est à plus de 50 % parce que la plupart des gens n’arrivent pas à se comprendre. La chose la plus dure c’est de voir la douleur que vous avez causée sur le visage de quelqu’un, puis d’avoir ça sur la conscience. Nous avons choisi de nous battre pour notre amour, pour notre famille, pour donner à nos enfants une issue différente, pour briser ce cycle». Pour l’heure, Beyoncé et Jay-Z filent le parfait amour, avec leurs trois enfants Blue Ivy, Rumi et Sir Carter (des jumeaux), auxquels ils aimeraient laisser non pas simplement leur énorme fortune mais surtout un monde plus vivable et où le racisme contre les Noirs ne serait plus qu’un souvenir.

Par Solene De Mendes 
photo couverture: ©TIFFANY&CO