Dans ce pays aux traditions bigarrées, les conversions forcées au catholicisme de l’époque coloniale n’ont pas effacé certains rites préhispaniques. Les commémorations religieuses des 1er et 2 novembre s’y vivent dans un esprit de fête et un joyeux syncrétisme qui rapproche ces deux cultures pourtant si éloignées.

© Catherine Gary

Une fusion de traditions religieuses et païennes

Difficile d’imaginer l’effervescence qui s’empare du pays à l’occasion du Dia de los muertos, la fête la plus populaire du Mexique inscrite en 2003 au Patrimoine culturel immatériel de l’Humanité. Un dépaysement de taille pour tout étranger qui débarque, avec ses processions et parades, ses chants et déguisements et ses grands renforts de pétards ! C’est ainsi qu’on invite en grande pompe les âmes des disparus pour qu’elles viennent rejoindre  les vivants durant deux jours de commémorations. Le Mexicain, digne héritier des Aztèques poussant jadis le culte de Mictecacihualt et Cihuacoalt jusqu’aux sacrifices humains, aime jouer avec la mort. Elle ne lui fait pas peur car il croit que les défunts ne sont pas loin. Ils peuvent même les visiter si on les y invite bien. D’où cette fête endiablée de deux jours où les crânes tiennent le haut du pavé. En céramique bariolée, en papier mâché et surtout en sucre qu’on finit même par croquer…

© Catherine Gary

Des autels très particuliers dressés en mémoire des morts

Si le 1er novembre est le jour des enfants morts, le 2 novembre est dédié aux adultes disparus. Dans chaque foyer un autel flamboyant est monté, décoré avec les objets emblématiques du défunt. Des portraits bien sûr, mais aussi des crucifix, car on est bon chrétien, et des objets de toutes sortes lui ayant appartenu : vêtements, chapeau, bijoux et autres fariboles. Sans oublier de quoi le régaler : des fruits, son alcool préféré ainsi que les plats qu’il aimait. Le tout s’anime à la lueur des chandelles qui semblent dire que le défunt est bien là et qu’il apprécie ces hommages. Quant à ceux qui ont perdu un proche dans l’année, ils accueillent les voisins en un long défilé d’offrandes au pied du simulacre de corps, sous la flamme vacillante des cierges et les émanations de copal, l’encens local.

C’est jour de fête dans les cimetières

Tous ceux du Mexique sont à l’honneur pour un toilettage exceptionnel ! Tombes repeintes de couleurs pastel, décorations de guirlandes en papier, débauche de fleurs, astiquage des croix de fer, installations nouvelles d’arbustes et de plantes… Dans ces maisons miniature, les morts qui sommeillaient toute l’année reviennent festoyer pour quelques heures privilégiées, guidés par le jaune intense des œillets d’Inde, la fleur magique marquant leur chemin sur le sol. C’est pourquoi il est d’usage de s’installer en famille pour la journée et même de veiller la nuit à la lumière des milliers de bougies allumées. Il est important aussi d’y partager le pan de los muertos, une délicieuse brioche parfumée à la fleur d’oranger, en compagnie de ces âmes défuntes qui apprécient sans aucun doute ces joyeuses ripailles. L’ambiance champêtre du vaste pique-nique à l’ombre des sépultures est animée par le chant des mariachis et bien arrosée d’alcool en ce jour de liesse et de tristesse aussi où riches et pauvres oublient un moment les disparités humaines.

© Catherine Gary

Un spectacle baroquissime à tous les coins de rues

Voilà les places et les lieux publics eux aussi investis par les étonnantes mises en scène des autels des morts. Personnages célèbres dans l’histoire du pays, hommes ou femmes s’étant distingués dans leur ville ou leur quartier, tous ont leur flamboyant autel devant lequel les gens déambulent et s’inclinent. Pour satisfaire le goût de tout un peuple dans cette approche quasi magique de la mort, la ville de Mexico organise chaque année un concours plus profane regroupant des dizaines d’autels qui rivalisent d’audace sur la place de la cathédrale baroque. Le gagnant est celui qui mêle au mieux les squelettes et les crânes aux objets les plus cocasses de la vie quotidienne. Un résultat époustouflant de créativité dans cette immense galerie d’art à ciel ouvert. Pendant ce temps défilent les personnages emblématiques du Dia de los muertos avec en tête la terrifiante Catrina, une dame élégante dont la grande capeline rouge coiffe un squelette qui rappelle à tous que le statut social ne compte plus devant la mort. Les enfants sont aussi de la fête, mêlant joyeusement ces traditions locales aux sorcières et citrouilles creuses d’Halloween, cette autre fête de Toussaint venue d’Amérique. Déguisés en Dracula, en momies ou autres morts-vivants, ils récoltent de porte en porte quelques friandises ou des pièces de monnaie…

Texte et photos Catherine Gary